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DIE, MY LOVE

Dans la campagne française, une femme se bat contre ses propres démons.

Critique du film

Lynne Ramsay est une habituée des projets fantômes, ceux annoncés avec excitation puis engloutis dans l’enfer de développement. À tel point que l’on oublierait presque que son dernier long-métrage à date, A Beautiful Day, est sorti il y a bientôt huit ans. Le film avait pourtant marqué de sa noirceur l’édition cannoise 2017, remportant à la fois le Prix du scénario et celui d’interprétation masculine pour Joaquin Phoenix. D’où le vif intérêt que suscitait le retour de l’Écossaise sur la croisette en 2025 avec Die, My Love, adaptation du roman éponyme d’Ariana Harwicz. L’événement était d’autant plus attendu que la réalisatrice s’est entourée de Martin Scorsese et Jennifer Lawrence à la production, cette dernière étant également à l’origine du projet.

L’ouverture de Die, My Love fomente un piège insidieux, une vision en trompe-l’œil qui se joue autant des spectateurs que de ses personnages. Grace et Jackson y découvrent la vieille maison dont ils viennent d’hériter. Un lieu appelé à devenir le cocon familial, madame étant enceinte jusqu’aux yeux. À première vue, le dispositif n’est pas sans rappeler Here de Robert Zemeckis dans sa manière de rendre compte de la domesticité naissante d’un jeune couple. Pourtant, derrière cette apparente sérénité, captée dans un plan fixe étrangement distant, se dessinent déjà en filigrane et par effet de surcadrage, les signes d’un enfermement physique et mental qui guette les amoureux. La décrépitude des papiers-peints préfigure quant à elle une forme de pourrissement déjà en marche.

Die my love

Les habitués du cinéma de Lynne Ramsay ne seront guère surpris par les choix de mise en scène (très) signifiants opérés dans cet incipit. Le recours au symbolisme demeure l’une des caractéristiques principales du travail de la cinéaste mais force est de constater qu’il fonctionne ici plutôt bien. En suggérant les tensions à venir au sein d’un cadre parfaitement composé et au calme trompeur, Ramsey pose ses enjeux avec une sobriété qu’on ne lui connaissait pas. Refusant les effets tapageurs que ses détracteurs lui ont largement reproché, elle s’en remet à la force d’une ambiance maîtrisée et instaure d’entrée de jeu un malaise diffus, presque imperceptible mais bien présent, annonciateur d’une déflagration prochaine.

Baby blues & mère misère

La promesse d’une montée en tension progressive est pourtant neutralisée dès la fin de la séquence introductive, brusquement interrompue par un montage alterné elliptique, sur fond de hard rock assourdissant. S’enchaînent alors, successivement, les plans d’une forêt en proie aux flammes et les ébats fiévreux et bestiaux du couple formé par Jennifer Lawrence et Robert Pattinson. L’effet de sidération recherché est inévitablement efficace tant il est amené à la manière d’un coup de poing dans le ventre. Et voilà le spectateur désormais prisonnier du film, condamné à subir, pendant près de deux heures, un flot ininterrompu d’images et de sons d’une rare agressivité. En moins de cinq minutes, Lynne Ramsey réussit ainsi l’exploit de sombrer dans les pires travers de son cinéma. Car, à partir de cet instant et jusqu’à sa dernière minute, le long-métrage ne semble animé que par une seule obsession :  violenter son spectateur à coup d’effets chocs, au prétexte d’une immersion sensorielle au plus proche de l’esprit tourmenté d’une jeune femme. 

Dès lors, l’analyse de Die, my love relève quasiment de l’impasse critique. Ou plutôt, elle soulève une question essentielle sur la démarche initiale de la réalisatrice : de quoi Lynne Ramsay veut-elle vraiment parler et qui pourrait justifier une telle brutalisation physique de son public ? La dépression post-partum ? La perte du désir masculin pour le corps de sa partenaire après l’accouchement ? L’aliénation d’une mère au foyer, isolée physiquement et socialement ? 

Die my love

En ne donnant jamais d’éléments de contextualisation qui permettraient de mieux saisir la décompensation psychique graduelle de Grace, Lynne Ramsay interdit au spectateur toute forme d’empathie envers son héroïne. Pire, elle la transforme en créature instable, un objet de terreur (ou de fascination morbide) uniquement caractérisé par ses pulsions sexuelles et l’hystérie de son comportement. À force de saturer son récit d’hallucinations visuelles, de ruptures de ton et de soubresauts sonores, Ramsay semble perdre de vue ce qu’elle filme vraiment : un corps féminin souffrant, certes, mais vidé de toute intériorité intelligible. Ce choix de point de vue confine à la déshumanisation du personnage et finit par ressembler à une caricature grossière et datée qui dessert totalement le propos supposément féministe de l’œuvre. Le film s’acharne ainsi à tout rendre chaotique, fiévreux, jusqu’à l’épuisement – celui de son héroïne, mais aussi, et surtout, celui de son public.

Die, My Love se rêverait drame viscéral sur la maternité, la solitude et le délitement du couple. Il ne reste en réalité qu’un spectacle doloriste éprouvant, bardé d’intentions et de symboles, mais totalement dépourvu d’émotion sincère. Un geste de cinéma profondément vain, trop occupé à hurler au visage de son spectateur pour ne pas voir la misogynie involontaire de son discours sur le féminin. Personne ne ressort grandi d’une telle expérience, ni Lynne Ramsay, ni le spectateur, et encore moins le cinéma.


2025 – De Lynne Ramsay

Cannes 2025 – Compétition