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CALL JANE

Chicago, 1968. Alors que le pays est au bord d’un violent bouleversement politique, Joy, femme au foyer vivant en banlieue, mène une vie ordinaire avec son mari et sa fille. Lorsqu’elle apprend que sa grossesse peut lui être fatale, Joy se rend dans un établissement médical qui ne veut pas l’aider. Alors que la situation lui semble impossible, elle rencontre les « Janes », une organisation clandestine de femmes qui offrent à Joy une alternative plus sûre – et un véritable changement de vie.

Critique du film

Film d’ouverture de cette 48e édition du festival du cinéma américain de Deauville, Call Jane de la réalisatrice Phyllis Nagy (nommé aux Oscars pour le scénario de Carol) a du s’imposer aux programmateurs comme un choix pertinent alors que le monde entier garde les yeux rivés sur les Etats-Unis, où plusieurs états (dont le Texas, le Tennessee, l’Oklahoma et l’Idaho) ont adopté des lois restreignant fortement l’accès à l’avortement voire l’interdisant complètement.

C’est ainsi que cette comédie dramatique résonne très particulièrement et s’affirme comme une piqure de rappel essentielle, derrière sa dimension « grand public » qui le rendra visible au plus grand nombre. C’est pourtant quatre décennies en arrière, en 1968, que le récit s’inscrit pour raconter le destin de Joy, une femme au foyer de la classe moyenne qui se retrouve dans une impasse. Alors qu’elle attend son second enfant, elle souffre d’une complication liée à cette grossesse tardive qui lui cause une insuffisance cardiaque. Le diagnostic est sans appel, et la solution limpide : cette dernière se résorberait si elle n’était plus enceinte. Le médecin est formel, et il suggère spontanément une requête exceptionnelle d’interruption thérapeutique de grossesse auprès du conseil médical de l’établissement.

The whole world is watching

En dépit de leurs croyances religieuses, Joy et son époux sont bien conscients qu’il y a là un enjeu vital. C’est avec la boule au ventre qu’elle assiste aux délibérations (expéditives) d’une salle remplie d’hommes qui décident rapidement de son sort. Le comité très patriarcal tranche : le pourcentage de survie étant « suffisamment élevé » (50% !), l’intervention n’est donc, à leurs yeux, pas justifiée. Elle doit alors trouver par elle-même une alternative. Et les deux options qui lui sont proposées sont des plus improbables : se faire diagnostiquer « suicidaire » par deux psychiatres pour outrepasser leur décision ou se laisser tomber dans l’escalier pour faire une fausse couche. Toute l’absurdité d’une époque où les femmes n’étaient pas plus autorisées à posséder un carnet de chèques qu’à disposer de leur propre corps semble résumée dans le premier quart du récit de Call Jane.

Call Jane

Bien sûr, il ne faut pas prêter à Phyllis Nagy les mêmes intentions qu’à Audrey Diwan avec L’événement, l’accès à l’avortement n’étant pas le véritable enjeu du film mais bien le point de départ d’un parcours de prise de conscience pour sa protagoniste principale. À l’heure où les Etats-Unis ont fait machine arrière, plaçant des milliers de femmes face à des choix impossibles et, de fait, à des recours aussi désespérés que dangereux (entrainant la prolifération de réseaux d’avortements clandestins), Call Jane met en images une procédure d’interruption de grossesse pratiquée par un médecin. Compétent mais vénal, ce patricien de l’ombre n’en demeure pas moins glaçant. Le long-métrage ne lésine pas à le montrer réalisant son acte avec professionnalisme mais sans une once de compassion pour l’être humain subissant cette intervention invasive et douloureuse.

Prétextant une fausse couche auprès de son entourage, Joy, marquée par cette épreuve, choisit à son tour d’aider plusieurs femmes dans le besoin. Sous l’impulsion de Virginia, incarnée par la géniale Sigourney Weaver,  elle finit même par rejoindre ce groupe de militantes déterminées à accompagner, sans jamais les juger, toutes les femmes dans cette situation. N’occultant pas les questions économiques et sociales, cette association de bienfaitrices a bien conscience qu’il faut permettre à chaque femme de pouvoir bénéficier de leur assistance d’urgence.

Si l’on concèdera aisément que Call Jane demeure un drame somme toute assez classique, et qu’il se permet quelques promptes résolutions dramaturgiques, le film a pour lui sa chaleureuse fibre sororale, sa bienveillance sincère et ses saillies humoristiques, sans que jamais le sujet ne soit appréhendé avec superficialité. Enfin, il se révèle particulièrement pertinent dans le contexte actuel, l’occasion parfaite de rappeler que si sept hommes ont voté en faveur de l’IVG en 1973, seulement six juges de la Cour Suprême (dont trois conservateurs placés par Donald Trump) ont suffi à mettre un terme en 2022 à la protection fédérale du droit à l’avortement outre-Atlantique. Un tremblement de terre juridique et un bien sinistre moment d’Histoire collective.


22 novembre 2022 (Canal+) – De Phyllis Nagy, avec Elizabeth BanksSigourney WeaverChris Messina


Festival de Deauville 2022 – Film d’ouverture




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