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CAROL

Dans le New York des années 1950, Therese, jeune employée d’un grand magasin de Manhattan, fait la connaissance d’une cliente distinguée, Carol, femme séduisante, prisonnière d’un mariage peu heureux. À l’étincelle de la première rencontre succède rapidement un sentiment plus profond. Les deux femmes se retrouvent bientôt prises au piège entre les conventions et leur attirance mutuelle.

Christmas’ Carol

Pour célébrer Noël avec élégance et romantisme, retour sur un film-phare des années 2010, Carol, une romance lesbienne dans l’Amérique des années 50 imaginée par l’écrivaine Patricia Highsmith et mise en image par l’un des cinéastes protecteurs de ceux que l’on laisse comme marginaux : Todd Haynes.

Écrire sur Carol pour dédier un Jour de Culte spécial Noël amène à s’interroger sur la pertinence de ce sujet : le film de Todd Haynes correspond-il véritablement à un film de Noël ? Peut-il être associé à Kevin McCallister piégeant Joe Pesci et Daniel Stern chez lui car il a raté l’avion, à John McClane sauvant le Nakatomi Plaza ou à Tom Cruise déambulant la nuit dans New York après une dispute avec Nicole Kidman ? Ces références éclectiques amènent à cette première affirmation : tout peut être considéré comme un film de Noël sans l’être réellement. Mais Carol en est-il véritablement un ? Pour y répondre, posons-nous alors une autre question : qu’est-ce qu’un film de Noël ?

Il faut d’abord un ingrédient essentiel : qu’il se deroule durant les fêtes. Pas de doute pour Carol : la date du 21 décembre est devenue majeure pour les cinéphiles du monde entier suite à ce rendez-vous entre les deux héroïnes du film. Mais que se passe-t-il en général dans un film de Noël ? Souvent, il s’agit de raconter l’histoire d’un protagoniste qui profitera de l’atmosphère calme et féérique des fêtes d’Hiver pour se surpasser, accomplir ce qu’il souhaite en surmontant de multiples obstacles, souvent aidé d’un vieux monsieur qui s’avère à la fin être le Père Noël… Peu de chances de retrouver l’homme en rouge dans une adaptation d’une nouvelle de Patricia Highsmith. Pourtant, quelle meilleure histoire de Noël que l’affirmation de deux femmes, au moment des fêtes, face à une société patriarcale qui fait peser le poids de leurs injonctions rétrogrades ?

Carol film

La fête de Noël se prête admirablement à ce que raconte Carol. Dans un premier temps, Noël est ramené à sa superficialité plaquée en surface. C’est ce que l’on voit au magasin de luxe Frankenberg de Manhattan, où Thérèse (Rooney Mara) travaille et va alors rencontrer Carol Aird (Cate Blanchett). On parle les murs de la boutique et leurs employé.e.s des apparats attendus chaque année (bonnet, guirlande etc…). Une attente qui colle à la peau de Thérèse. Car de sa cheffe-responsable s’en suivra une succession d’individus qui attendent des choses d’elle, le plus flagrant venant de son petit ami, incarné par un Jake Lacey (qui préfigure un peu son rôle dans la série The White Lotus) au comportement presque envahissant. Il en va de même pour le personnage de Carol ; aisée socialement, sa vie sera pourtant bloquée par son ex-mari Harge (joué par le trop rare Kyle Chandler). Les affrontements sentimentaux et juridiques, régis par des préjugés patriarcaux (où l’amour entre deux femmes sera vu comme un obstacle à la garde d’un enfant), y deviennent de plus en plus violents et ne parviennent plus à cacher ce faux-semblant d’épanouissement familial verni par le décorum de fête. Mais au-delà de cette artificialité propre aux attentes et à la commercialisation des fêtes, n’existerait-il pas un sentiment merveilleux qui servirait de rempart à cette violence ? Question rhétorique.

Flung Out of Space

“Jetée hors de l’espace”, en français. C’est ainsi que Carol qualifie Thérèse lors de son premier dîner avec elle. Hors de l’espace, du temps. Hors de l’ordinaire. Tout semble transporter Carol et Thérèse en dehors d’un monde attendu. Exprimés comme des miracles (de Noël ?), les moindres sentiments et actes d’amour deviennent de véritables leviers contre ce qu’on attend des femmes à cette époque. Prendre cette histoire sous le registre du mélodrame s’avère ingénieux. Haynes l’avait déjà fait en se réappropriant Tout ce que le ciel permet de Douglas Sirk, changeant la violence de la bourgeoisie américaine envers des classes sociales moins privilégiées pour pointer du doigt le racisme et l’homophobie de l’Amérique. Dans Carol, les effets appuyés du genre se veulent plus sobres mais reflètent tout de même les fuites presque lyriques ressenties par ces héroïnes. La somptueuse musique de Carter Burwell et la photographie de Edward Lachman donnent le sentiment que cette histoire d’amour est flung out of space, lumineuse. Une histoire féérique qui va faire évoluer nos personnages, notamment Thérèse qui va entrer en paix avec son introversion et son avenir. Le dernier plan est déchirant, parsemé d’incertitudes, mais il illustre surtout des sentiments et un geste fort traduit par un regard inoubliable.

Todd Haynes prolonge son geste de cinéaste en donnant la parole à ceux aux oubliés de différentes époques – et continuera de le faire tout le long de sa filmographie. Il transforme cet amour miraculeux, surnaturel, en de véritables actes d’émancipation. Des sentiments vertigineux qui ne nous quittent pas une fois ce bijou découvert.


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