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FANTÔME UTILE

Après la mort tragique de Nat, victime de pollution à la poussière, March sombre dans le deuil. Mais son quotidien bascule lorsqu’il découvre que l’esprit de sa femme s’est réincarné dans un aspirateur. Bien qu’absurde, leur lien renaît, plus fort que jamais — mais loin de faire l’unanimité. Sa famille, déjà hantée par un ancien accident d’ouvrier, rejette cette relation surnaturelle. Tentant de les convaincre de leur amour, Nat se propose de nettoyer l’usine pour prouver qu’elle est un fantôme utile, quitte à faire le ménage parmi les âmes errantes…

Critique du film

Premier long métrage de Ratchapoom Boonbunchachoke récompensé du Grand Prix à la Semaine de la Critique, Fantôme Utile s’impose dans un premier temps comme une fable fantasmagorique et résolument absurde, où le grotesque sert à dérouler ses nombreuses thématiques. En adoptant un langage esthétique éclatant, burlesque et déroutant, le réalisateur thaïlandais élabore une narration dédoublée, où l’intime et le sociétal se confondent à travers une intrigue improbable. Derrière cette proposition loufoque (l’esprit d’une femme se réincarne dans un aspirateur) se cache une multitude de niveaux de lecture, où chaque élément fantasque devient un symbole porteur de sens. Le film y déploie une critique en creux des structures oppressives de la société thaïlandaise contemporaine, sous couvert d’un humour surréaliste.

Fantôme Utile débute par ce qui s’apparente à une exposition foisonnante, presque chaotique, de symboles représentant une kyrielle de pistes narratives et thématiques. Le récit effleure tour à tour la question écologique, la condition ouvrière, l’aliénation dans le productivisme, la condition féminine et les amours hors normes face à la logique capitaliste et religieuse, le tout sans jamais s’y attarder. Cette profusion donne à l’ensemble un caractère confus, posant un décor symbolique dense mais fragmenté.

Cependant, un changement s’opère dans la seconde moitié du film, une plongée radicale dans un registre plus sombre, foisonnant et résolument nihiliste. Le cinéaste décide finalement de s’emparer d’un de ces enjeux pour l’explorer plus en profondeur. Ce changement de tonalité marque un tournant critique : là où la première partie distille sa charge politique sous des atours grotesques, la seconde déploie un récit frontalement politique, aux aspects glaçants.

fantôme utile

Le personnage de Nat, déjà réduit à l’état d’objet devient un « fantôme utile », c’est-à-dire un outil docile mis au service d’un État révisionniste. Le récit prend alors une tournure sinistre, les revenants collaborent avec les vivants pour effacer les traces les plus encombrantes du passé : les âmes en errance des sacrifiés de guerre, des oubliés de la répression, des victimes politiques de l’histoire récente de la Thaïlande.

Fantôme Utile dépasse le cadre de la critique sociale pour s’ériger en poétique du souvenir : l’effacement de la mémoire est un outil à façonner la réalité au présent. Dès lors, maintenir vivante la mémoire des luttes, des dominés, des invisibles est vital à la liberté d’un peuple. Cette thèse est ici profondément ancrée dans le contexte politique et social imprégné par les manifestations post-répression de 2010 qui marquèrent un tournant dans l’histoire de la Thaïlande.

Fantôme Utile est une œuvre qui exige qu’on s’y abandonne pleinement, sans chercher à tout saisir, ni à tout rationaliser. Pour embrasser une multitude de thématiques, le film déploie un arsenal de symbolismes qui tend à saturer l’espace narratif. Cette richesse symbolique comme méthode de représentation offre une vaste liberté formelle et une hétérogénéité stylistique assumée, au prix cependant d’une dispersion dans le récit qui le pousse à balayer tous azimuts les grandes questions de la société thaïlandaise sans leur accorder la profondeur nécessaire. À l’exception de la thématique de la mémoire, traitée avec davantage d’épure, qui offre un terrain de réflexion plus accessible sur ses enjeux éthiques, politiques et sociétaux. 

Bande-annonce

27 août 2025 – De Ratchapoom Boonbunchachoke


Semaine de la Critique (Cannes 2025) – Grand Prix