SALVE MARIA
María, une jeune écrivaine qui vient de devenir mère, se passionne pour un fait divers perpétré non loin de chez elle. Obsédée par celle qui a commis l’irréparable, elle cherche à comprendre son geste. L’écriture devient alors son seul moyen d’appréhender l’expérience de sa propre maternité, tandis que l’ombre de cet événement tragique plane sur elle, comme une possibilité vertigineuse.
Critique du film
En 2021, Katixa Agirre publiait son deuxième roman intitulé Las Madres, no, un ouvrage de fiction puisant dans de véritables faits réels, inspiration libre du long-métrage de Mar Coll. Les deux oeuvres partagent un sujet discuté depuis Le deuxième sexe de Simone de Beauvoir : la question de la maternité. Loin de l’analyse freudienne, Salve Maria tente davantage d’illustrer le poids mental d’une naissance, l’alourdissement qu’un tel événement provoque pour une jeune mère dont la construction s’arrête brutalement au profit d’un autre être, ou de “l’espèce”, pour citer la philosophe française.
Ceux l’ayant vu n’auront probablement pas oublié le récent La jeune femme à l’aiguille, qui présentait ses personnages féminins à la fois comme des êtres cruels tout en n’oubliant pas de préciser que les horreurs commises venaient pallier, d’une certaine façon, un manquement en matière de politique publique de contraception. L’hypocrisie du peuple était alors la principale cause de leur procès, affaire qui avait ébranlé le Danemark au début du XXe siècle. En un sens, Salve Maria ne s’éloigne pas tant de la fascination de Magnus Von Horn pour les mères dont la naissance d’un enfant met en péril la trajectoire de vie. Maria vient justement d’avoir son premier enfant lorsqu’une affaire d’infanticide secoue la ville de Barcelone. S’enclenche alors une quête macabre ; savoir comment l’instinct maternel peut être dépassé pour commettre l’irréparable.
Cette mission que s’impose Maria n’est finalement que l’emballage d’une réflexion plus profonde. Ce que Maria veut vraiment savoir, c’est si cette maternité est innée ou intériorisée du fait d’une potentielle construction sociale. La figure du père, constamment absent et fuyant, met à mal le soit-disant “sexe fort”, incapable de s’investir dans sa propre famille naissante. Il va de soi qu’une mutation s’opère alors, la femme, ici Maria, n’est plus seulement femme, elle est aussi le vaisseau chargé de faire survivre le nouveau né. Un concept que le mâle semble avoir pris pour acquis tel un chef de meute seulement doué pour la chasse. Si femme et fœtus ne font qu’un pendant neuf mois, il lui semble naturel que la mère prolonge sa fusion au-delà de l’accouchement.

C’est là qu’interviennent de manière explicite les analyses de Simone de Beauvoir (ouvertement citée dans le long-métrage), elle qui disait qu’au moment de la grossesse “l’espèce ronge les femmes”. C’est ce qui hante véritablement Maria, cette sensation de ne pas répondre aux critères de la “mère” tels qu’ils ont été forgés au fur et à mesure des évolutions sociétales. Il ne faut pas s’arrêter au caractère sordide du fait-divers qui occupe la protagoniste, dont personne ne niera l’horreur, mais c’est via ce drame qu’elle tente de s’échapper d’un carcan qui l’étouffe, au sein duquel elle semble obligée de vivre. Quand la cicatrice de sa césarienne s’ouvre, laissant couler un flot de sang continu, ce n’est pas pour jouer sur la corde du gore mais davantage pour littéralement extérioriser tout ce quel film essaie de dire : l’enfant est synonyme de maternité, la maternité est synonyme d’une nouvelle forme d’oppression imposée aux femmes.
Il est évident que la maternité n’est pas qu’un système coercitif, elle peut avoir des moments doux et peut se développer sans accrocs, mais comme tout concept social encore en place aujourd’hui, il convient de s’interroger sur ses origines, sa fonction et son asymétrie avec son pendant masculin. En cela, Salve Maria reprend des enjeux féministes avec une lenteur, certes parfois contraignante, mais nécessaire à la réflexion. Les thèses ont davantage de profondeur dans les œuvres desquelles le film tire son inspiration, mais Mar Coll réussit à rendre limpide un propos que beaucoup pourraient taxer d’absurde exagération de la réalité.






