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LILI MARLEEN

En 1938, à Zurich, Willie, une chanteuse allemande, aime Robert, un musicien qui appartient à une organisation secrète chargée d’aider les Juifs à fuir l’Allemagne. Le père de Robert refuse cette liaison et fait en sorte que les deux amants soient séparés. La guerre éclate. Forcée de rester en Allemagne, Willie enregistre une chanson, « Lili Marleen », diffusée aux quatre coins du Reich et qui devient un véritable triomphe. Les soldats font de cette chanson leur hymne, les Nazis leur emblème, mais le destin réunit à nouveau Willie et Robert…

Critique du film

Grand artiste polyvalent – acteur, réalisateur, metteur-en-scène, producteur et scénariste – ayant oeuvré au théâtre, à la télévision et au  cinéma, Rainer Werner Fassbinder a tourné plus de vingt films pour le cinéma en seulement treize ans, et presque autant pour la télévision. Lili Marleen, réalisé en 1981, un peu plus d’un an avant sa mort, appartient à la dernière période de Fassbinder.

Librement inspiré par une partie de la vie de la chanteuse et comédienne Lale Andersen et de sa relation avec le compositeur suisse Rolf Liebermann, Lili Marleen laisse éclater l’admiration qu’avait le réalisateur allemand pour les mélodrames de Douglas Sirk, dont il avait tant chanté les louanges dans son très bel ouvrage sur le cinéma Les Films libèrent la tête, livre dans lequel il écrivait sur les metteurs-en-scène qui l’avaient le plus marqué, qu’il s’agisse du prince du mélodrame ou du Français Jean-Luc Godard. Dans cet ouvrage, il disait aussi toute son admiration pour Hanna Schygulla, actrice présente dans quasiment tous ses films et une de ses égéries, avec Ingrid Caven.

Lili Marleen se focalise sur la genèse de la chanson du même nom. Se déroulant entre 1938, et les prémisses de la seconde guerre mondiale, et 1945 et la capitulation de l’Allemagne nazie, si le film tient du mélodrame, il ne démérite pas en offrant un écrin digne des oeuvres de celui que Fassbinder admirait tant : photographie élégante, reconstitution historique soignée, belle composition musicale, qui sait aussi prendre des accents inquiétants. Lili Marleen raconte également une belle histoire d’espionnage, de clandestinité et de double jeu pour constituer une grande fresque historique relatant une des périodes les plus sombres du vingtième siècle. À la belle histoire d’amour qui lie Willie, la jeune chanteuse lumineuse et ambitieuse, et Robert le compositeur suisse et juif, donc menacé par la barbarie nazie, viennent se greffer des actes de résistance, comme le fait de vouloir faire rejoindre la Suisse à des familles juives persécutées ou de chercher à prouver qu’existent en Pologne des camps d’extermination.

Lili Marleen

Dans le rôle de Willy, Hanna Schygulla est éblouissante de sensibilité, de charme et de sensualité. Son personnage, complexe, se débat dans une époque et un monde où les repères entre le bien et le mal semblent parfois troublés. Le père de Robert, David Mendelsson que joue Mel Ferrer, se trouve à la tête d’une bande d’activistes à l’allure inquiétante. Ces hommes qui sauvent des familles juives ne sont-ils motivés que par des sentiments nobles et altruistes ? On les voit notamment dissimuler des bijoux et de grosses sommes d’argent. De même, l’une des têtes pensantes du réseau – jouée par Rainer Werner Fassbinder dans un cameo non crédité – peut sembler ambigu. Willy cherche à sauver l’homme qu’elle aime et accepte de courir des risques qui peuvent paraître insensé, mais elle est également attirée par le succès et la gloire que lui offre le régime nazi. La distribution comprend également Giancarlo Giannini, dans le rôle de Robert, Hark Bohm, particulièrement touchant en pianiste et « fiancé » de Willy, passionné de musique et de tarot. Ou encore Karl-Heinz von Hassel, officier nazi impitoyable mais faible.

Se distinguant de beaucoup d’autres films de Rainer Werner Fassbinder, artiste provocateur et écorché vif qu’on pourrait comparer à Pier Paolo Pasolini pour les thèmes traités avec courage et frontalité, la vision politique du monde et le talent polymorphe, Lili Marleen est une oeuvre éclatante, un diamant noir fascinant que l’on pourra (re)découvrir en salle en cette fin de printemps, dans une somptueuse restauration 4K qui donne toute sa valeur à la réussite plastique de ce film magnifique, tant dans la forme que dans le fond.

Bande-annonce

28 mai 2025 (ressortie) – De Rainer Werner Fassbinderavec Hanna Schygulla