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WHITE BUILDING

Samnang, 20 ans, habite dans un immeuble historique de Phnom Penh. Le départ de son meilleur ami, la maladie de son père et la démolition imminente du bâtiment, vont le faire grandir.

CRITIQUE DU FILM

À travers le destin d’une famille, Kavich Neang réalise une chronique douce amère sur un Cambodge en pleine mutation. Un premier long métrage somptueux, qui embrasse avec une égale sensibilité le global et l’intime.

FIEVRE VERTICALE

Le film s’ouvre sur un lent travelling aérien qui survole une longue barre d’immeuble délabrés. Des plans d’ensemble la situeront, verrue anachronique, au milieu de gratte-ciels flambant neufs. C’est ici qu’a grandi Samnang, et qu’il vit encore comme des dizaines d’autres familles que l’Etat s’apprête à exproprier. La petite communauté de l’immeuble constitue un village dans la ville, dont le père de Samnang, en qualité de chef, doit représenter les intérêts auprès d’une puissante Firme.

White Building est découpé en trois chapitres, d’inégales longueurs, qui impriment au film un mouvement de l’innocence vers l’inquiétude, renforcé par un sentiment de fatalité qui semble, paradoxalement, écraser les personnages et révéler leur profondeur.

Avec Ah Kha et Tol, Samnang forme une triplette soudée autour du hip-hop. Ils se produisent dans les bars pour gagner quelques sous et rêvent de filles et de gloire. Les balades à scooter sont l’occasion d’un aperçu de Phnom Penh, ville hérissée de grues, contaminée par une fièvre commerciale galopante. L’injonction à la verticalité triomphante donne des allures d’antiquité au « white building » construit dans les année 60, résidence d’état destinée aux fonctionnaires.

L’IMPUISSANCE ET LA TORPEUR

Le personnage du père est central dans le deuxième segment du film. Chargé de faire l’intermédiaire entre des habitants inquiets et divisés et une Firme invisible (on entend les voix des représentants mais les corps restent hors champ), il doit se faire l’avocat du diable pour justifier un arrangement à la fois indigne et historique. Les familles expropriées n’auront pas d’autre choix que de quitter la ville, abandonnant tout, travail, amis, habitude. Dans le même temps, il est victime d’une infection à un orteil qu’il néglige de traiter autrement que pas des soins naturels. Kavich Neang compose des cadres impeccables, éclairés par de superbes clairs obscurs (la lumière, splendide, est signée Douglas Seok) où les personnages semblent l’ombre d’eux-mêmes dans un lieu au-dessus duquel leur âme flotte déjà. La relation père/fils est aussi intense que silencieuse à l’image d’un film qui trouve dans ses latences une forme de douleur au croisement de l’inéluctable et de l’empathie.

La beauté du film réside dans sa capacité à saisir, à travers le regard de deux générations, une chute et l’inexorable élan d’un nouveau départ. Dans le regard des parents, la résignation, dans celui de Samnang la tristesse de ce constat mais aussi le désir de tout mettre en œuvre pour l’atténuer.

White Building

Avant de basculer dans son dernier segment, Neang filme une dernière fois l’immeuble voué à la destruction. Des plans silencieux et immobiles, peuplés d’une nostalgie qui ne dit pas encore son nom. Cette séquence se termine par deux plans inoubliables, sorte de cauchemar surréaliste. Une mère et sa fille sont hypnotisées devant une télévision et, en contrechamp, le programme télé documente la destruction de l’immeuble. Extraordinaire idée de cinéma pour traduire l’impuissance et la torpeur. Le film fait écho de manière très étrange avec un premier long métrage français qui a marqué l’année cinéma. Gagarine de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh choisissait l’échappée vers l’imaginaire quand Kevich Neang joue plutôt la carte d’un deuil docile.

Il n’est pas nécessaire de détailler le contenu du dernier chapitre dont l’estompage des couleurs traduit la perte et l’érosion. Seul face à son destin, le film se termine sur le visage de Samnang, à peine perceptible dans la nuit. White Building, dans son beau récit mélancolique, rend hommage aux vies ingrates d’une génération sacrifiée, traumatisée par le régime khmer puis écartée de la capitale. L’avenir appartient à Samnang, trait d’union entre des souvenirs en miettes et des désirs paillettes.

Bande-annonce

22 décembre 2021 – De Kavich Neang
avec Chhun Piseth, Soem Chinnaro et Jany Min




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