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L’ÉTRANGE NOËL DE MONSIEUR JACK

Jack Skellington, roi des citrouilles et guide de Halloween-ville, s’ennuie : depuis des siècles, il en a assez de préparer la même fête de Halloween qui revient chaque année, et il rêve de changement. C’est alors qu’il a l’idée de s’emparer de la fête de Noël…

Que vois-je ?

Au début des années 80, Tim Burton, jeune talent des studios Disney tourne le dos à la firme après y avoir réalisé Vincent (1982). Un court-métrage comme premier essai, plein d’une rage créatrice folle, conçu comme un hommage à ses influences cinématographiques, de Vincent Price aux films de la Hammer. Ce premier jet met en place les fondations de son univers singulier qui explosera dans les années suivantes avec les succès critiques et publics Beetlejuice, Batman et Edward aux mains d’argent.

Cette reconnaissance permet à Burton de retourner auprès des studios Disney afin de reprendre le développement d’un film basé sur un poème qu’il a écrit pendant le tournage de Rox et Rouky. Initialement pensé pour être un téléfilm de 30 minutes, Disney décida d’investir 15 millions de dollars via sa filiale Touchstones Picture, considérant le projet trop sombre pour le jeune public, mais laissant carte blanche au réalisateur. Tim Burton passe de nombreux mois à élaborer le scénario, les décors, la musique et tout ce qui fera l’identité du film que l’on connait : L’Étrange Noël de M. Jack. Tout ou presque. Puisque accaparé par la suite de Batman et la pré-production de Ed Wood, et peu enclin à la patience nécessaire à la technique de l’image par image, Burton confie la réalisation de son film, premier long-métrage du genre pour une major, à son comparse Henry Selick, véritable expert de la stop motion.  

Grotesque et merveilleux

C’est là le tour de force de Tim Burton que de réussir à faire produire par Disney un film qui se présente en premier lieu comme une lutte du grotesque face au merveilleux qui émane habituellement du studio. Deux jours avant la fête d’Halloween sort donc ce film audacieux, que se soit dans sa forme, son sujet, ou encore son traitement. Comme si le film était une rencontre entre les décorations de la fête des morts qui croiseraient celle de Noël dans la vitrine d’un grand magasin. Encore une fois Tim Burton y mélange ses influences, des romans d’Edgar Allan Poe en passant par ceux du Dr Seuss. La folie d’un Beetlejuice combinée à la raideur d’un Batman. Il restait à ajouter au poème initial un grand méchant, symbole de l’argent qui vient gangréner les fêtes, et une histoire d’amour, puis à mettre le tout en forme. Ce qui a été fait de la plus singulière des façons.

Disney s’est fait spécialiste des films d’animation comportant des passages chantés sous forme de récapitulatif des enjeux narratifs, ce que n’est pas L’Etrange Noël de Monsieur Jack. Le film est une pure comédie musicale parfaitement rythmée et enlevée, de celles que l’on saurait apprécier sur Broadway et dont les morceaux restent en tête pendant plusieurs jours. Danny Elfman compose des morceaux qui accentuent parfaitement les thèmes abordés dans le film, tout en étant parolier et interprète lui-même de Jack dans ses passages chantées. Il ose dans les paroles, toujours proche de ses personnages. Qu’il s’agisse de la solitude shakespearienne de Jack et Sally ou des violentes gamineries du « kidnapper l’Perce-oreille ». Des choix musicaux qui varient de moments lyriques en un lent boogie woogie en passant par le blues dans une allure de parade macabre avec ses cuivres et ses grosses caisses dans des arrangements originaux et des mélodies incongrues aux changements de rythmes répétés. La comédie musicale passe également par la cadence toute chorégraphiée qu’offre l’animation en stop-motion. Jack est hiératique comme un funambule en équilibre sur l’architecture en lignes brisées des décors qui évoquent le meilleur de l’expressionnisme allemand.

Etrange noel de Mr Jack

Si le film est aussi séduisant c’est également grâce au soin apporté à ses décors épurés mais riches en détails. Il en est de même pour toute la galerie des personnages. De Jack Skellington, inspiré de la célèbre citrouille creusée Jack o’lantern, en passant par toute la compagnie de personnages secondaires hauts en couleur, des vampires teutons au loup-garou. La cohérence de l’ensemble est saisissante et participe à l’empathie que l’on éprouve pour Halloween Town, imparfaite et loin de la norme, mais bien plus chaleureuse que le monde réel fade et uniforme. Et pourtant Jack est las de son quotidien, il s’ennuie des cris monstrueux, de l’épouvante. Même son chien Zéro ne réussit à rompre sa routine. Dans son errance, il va se mettre dans l’idée de célébrer Noël. Mais en s’accaparant quelque chose qu’il ne comprend pas va en résulter un échec. Une erreur qu’il va devoir réparer, héros malgré lui, comme la plupart des personnages burtoniens.

Parias et marginaux

Avec son conte gothique et baroque au point de vue rude, Tim Burton parle des parias, et des marginaux, mais sur un ton résolument positif. En confrontant la norme à la marge, il invite les spectateurs de tout âge à se poser des questions sur la subtile frontière entre le malheur et le bonheur, l’anormal et le normal. Il ne faut pas aspirer à être ce qu’on n’est pas mais plutôt apprendre à cultiver sa différence pour être heureux. Ouvrir les yeux sur son entourage pour y déceler toutes les subtilités. Le film se présente comme une leçon de tolérance dans un monde complexe où personne ne peut dogmatiquement décider de ce qui est mauvais ou bon.  

L’étrange Noël de Monsieur Jack est une pure réussite pour un projet aux ambitions gigantesques, un véritable défi technique à l’époque. La production a été parsemée par les conflits de son équipe aux fortes personnalités qui auraient pu venir étouffer complètement l’âme du film mais il n’en est rien. Quand bien même Burton n’est passé que cinq fois sur le plateau à compter du premier jour de tournage, pour une dizaine de jours au total sur une période de trois ans, il est l’homme à qui l’on attribue tout le succès du film. Disney en faisant même un argument marketing retitrant le film « Tim Burton’s The Nightmare Before Christmas ». Produit par Tim Burton encore, James et la pêche géante a permis plus de libertés à son réalisateur. Mais il faudra attendre la création des studios Laïka et le film Coraline pour reconnaitre le talent de Selick à sa juste valeur. Il est par ailleurs intéressant de noter qu’avec L’Etrange Noël de Mr Jack les produits dérivés autour du film se sont multipliés les années suivants sa sortie, amorçant l’entrée dans la norme d’un univers construit autour de la marge. Comme si Hollywood avait indirectement commencé à contraindre Burton à devenir ce qu’il reprochait jusqu’alors à travers ses films, pour devenir aujourd’hui ce que l’on sait de lui. – LG


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