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DRIVE MY CAR

Alors qu’il n’arrive toujours pas à se remettre d’un drame personnel, Yusuke Kafuku, acteur et metteur en scène de théâtre, accepte de monter Oncle Vania dans un festival, à Hiroshima. Il y fait la connaissance de Misaki, une jeune femme réservée qu’on lui a assignée comme chauffeure. Au fil des trajets, la sincérité croissante de leurs échanges les oblige à faire face à leur passé.

Critique du film

2021 est une année particulièrement prolifique pour le cinéaste japonais Ryusuke Hamaguchi. Après The Wheel of Fortune and Fantasy, très remarqué à la Berlinale en mars, où il a remporté l’Ours d’argent et le Grand prix du jury, c’est avec Drive my car qu’il revient en compétition à Cannes après Asako 1 et 2. Là où le film berlinois surprenait dans sa structure, film à sketchs au casting différent pour chaque segment, on retrouve une tout autre trame narrative avec cette adaptation d’une nouvelle d’Haruki Murakami. Yusuke Kafuku est acteur et dramaturge à succès. Sa dernière pièce est une adaptation ambitieuse d’Oncle Vania de Tchékov, où il interprétait le premier rôle. Les quatre actes de cette œuvre semblent se confondre avec le rythme du film lui-même.

Les parties du film sont séparées par un fondu au noir qui rappelle le temps écoulé, découpant le récit en moments courts, le début et le final, et des parties plus importantes comme le montage de la pièce à Hiroshima. Cet alignement des récits, dans une logique méta séduisante, n’est pas la seule chose troublante dans l’architecture narrative du film. En effet, Hamaguchi construit son écriture en concoctant des bulles de dialogues en huis-clos, souvent à l’intérieur de la voiture rouge ancienne de Yusuke. C’est en son sein que les personnages se livrent le plus, entre plusieurs silences qui sont autant de temps de latence propices à la réflexion, aérant les révélations et les dialogues toujours aussi ciselés chez l’auteur de Senses.

Dans son introduction, Drive my car semble l’histoire d’un couple modèle, sans histoires, au statut-quo impressionnant de stabilité. Ce constat est évidemment un leurre qui se dissipe rapidement, l’auteur parsemant le film de points de rupture plus ou moins violents, les émotions étant à peine suggérées, toutes contenues dans les regards, les frémissements de corps en attente dont ne sait quoi. Yusuke impressionne très rapidement dans ce registre, sa colère est tue, elle ne se manifeste pas, et c’est le premier point frappant. C’est un homme qui a connu plusieurs deuils, beaucoup de souffrance, et qui ne s’autorise pas à extérioriser ses émotions. La beauté de son visage fermé, impassible, est presque inquiétante, voire terrifiante, affichant des secrets et non-dits qui ne seront dissipés que dans le dernier tiers du film.

L’autre personnage le plus mystérieux de l’histoire est le jeune acteur vedette Takatsuki. Amant supposé de la femme de Yusuke, il est l’âme la plus tourmentée de Drive my car. Ses explosions sont gardées hors-champ, mais résonnent toutes très forts dans le plan, imprimant le réel de leur fureur. Dans une de ces bulles de dialogues, c’est lui qui contre toute attente délivre le post-scriptum que n’attendait plus Yusuke. Hamaguchi fait de Takatsuki une sorte de messager maudit, un personnage de roman noir, condamné mais pièce maitresse d’une histoire qu’il enrichit par sa présence troublante, sa beauté vénéneuse et son intensité inexplicable.

Drive my car
Si Takatsuki symbolise ces points de rupture successifs, l’équilibre maintenu semble contenu dans le personnage de Misaki Watari, chauffeure du dramaturge pendant sa présence à Hiroshima. Ici encore, c’est dans son corps qu’apparait le mystère de la jeune femme. Le regard vide, les origines lointaines et l’absence d’explications sur ses origines, tout concourt à s’interroger sur Misaki. Pourquoi une si jeune personne est-elle chauffeure pour un festival de théâtre ? La mise en abîme qui s’opère dans les discussions entre elle et Yusuke sont le creuset dans lequel la guérison de ce dernier peut naître et se développer. L’histoire de l’un fait écho à celle de l’autre, et c’est par le biais de Misaki que Yusuke peut enfin regarder ses blessures en face.

Drive my car est une œuvre atypique qui joue beaucoup avec son spectateur, exigeante, jonglant d’une langue à l’autre, que ce soit le mandarin, le japonais ou même la langue des signes coréennes. Ryusuke Hamaguchi déploie un labyrinthe de sous-intrigues, comme les histoires d’Oto, qui lui vinrent après l’orgasme, plus étranges et exceptionnelles les unes que les autres, se prolongeant dans la vie des personnages, les poussant plus loin dans l’intime et l’abstraction. Long de trois heures, le film demande un effort intellectuel qui récompense le spectateur à chaque nouvel échange, au cœur d’un ensemble poétique sublime qui, s’il fait penser à ceux de Passion ou d’Asako, est beaucoup plus abouti et juste.

Peu de cinéastes sont capables de délivrer deux films aussi réussis formellement en une seule année, tout en gardant le soin de prolonger leurs thèmes de prédilection, ceux d’un auteur qui n’est jamais aussi à l’aise que quand il fait parler ses personnages, disséquant leur âme et leurs sentiments. À tout juste 42 ans, Hamaguchi s’impose comme l’un des réalisateurs les plus importants du cinéma japonais et international, un incontestable candidat au plus grand des prix, la Palme d’Or du festival de Cannes.

Bande-annonce

18 août 2021De Ryusuke Hamaguchi, Avec Hidetoshi NishijimaToko MiuraMasaki Okada


Cannes 2021 – Prix du scénario




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