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TWIST À BAMAKO

1962. Le Mali goûte son indépendance fraîchement acquise et la jeunesse de Bamako danse des nuits entières sur le twist venu de France et d’Amérique. Samba, le fils d’un riche commerçant, vit corps et âme l’idéal révolutionnaire : il parcourt le pays pour expliquer aux paysans les vertus du socialisme. C’est là, en pays bambara, que surgit Lara, une jeune fille mariée de force, dont la beauté et la détermination bouleversent Samba. Samba et Lara savent leur amour menacé. Mais ils espèrent que, pour eux comme pour le Mali, le ciel s’éclaircira…

Critique du film

Sous le soleil trompeur de Bamako, c’est dans la fougue de la jeunesse malienne que Robert Guédiguian est allé puiser la double énergie de la révolution socialiste et de la musique rock version yé-yé. Il conte, sous forme d’une tragédie solaire et romantique, l’engagement politique et le déhanchement des corps. Son cinéma humaniste trouve dans cette histoire malienne une jouvence et une continuité. Le plaisir qu’il prend à filmer la beauté de cette jeunesse indépendante est d’autant plus fort qu’il capte tout à la fois : une insouciance, un bonheur et une utopie. Trois élans tissés sans un matériau romanesque qui dessine les ombres consubstantielles à leur grâce.

À force de regarder la mer Méditerranée, il fallait bien que Robert Guédiguian finisse par la traverser. Il s’était déjà écarté de son berceau marseillais pour évoquer ses racines arméniennes, mais la cité phocéenne constituait, d’une façon ou d’une autre, un port d’attache et la bande de comédiens était du voyage. On se souvient de Gérard Meylan, militaire respecté dans Le Voyage en Arménie, ou d’Ariane Ascaride, mère rongée par la culpabilité dans Une histoire de fou. De ce point de vue, Twist à Bamako constitue bien une singularité dans la filmographie du cinéaste mais aussi dans l’histoire du cinéma français dont on trouve très peu d’exemples de films africains sans personnage blanc.

C’est l’exposition de la Fondation Cartier, consacrée à Malick Sidibé, qui est à l’origine du film. Le grand photographe malien a documenté l’histoire du pays et de la mode dans une sorte de tradition disruptive passée à la postérité devant son objectif. Robert Guédiguian a reconnu dans ce moment de l’Histoire, la rencontre heureuse entre le politique et le festif, façon de se souvenir que l’un et l’autre sont non seulement possibles mais souhaitables.

Twist à Bamako

Samba, 20 ans, est à la tête d’une mini brigade. Sa jeunesse est un charisme, sa motivation une ardeur. Il parcourt le pays afin d’accompagner la révolution socialiste mise en œuvre par le président Modibo Keita. Son père, riche commerçant de Bamako, le regarde « prêcher dans le désert » avec une circonspection qui oscille entre l’amusement et l’inquiétude. Guédiguian a fait appel à Gilles Taurand, complice habituel des sujets historiques. Très documenté, le scénario reconstitue un moment de bascule du pays. De nombreuses scènes écrites sur le ton de la comédie évoquent les conflits entre renouveau et tradition, nouvelle législation et coutume. Samba prend son rôle très à cœur, il croit possible de faire évoluer le pays vers davantage d’égalité. Son jeune frère, Badian, ne vit de son côté que pour les soirées endiablées dans les clubs de la capitale où la jeunesse découvre le twist, Claude François et les mini-jupes. Samba, plus sage, ne semble mu que par les préceptes de la révolution. Jusqu’à ce qu’il croise le regard de Lara.

Guédiguian insuffle à son film un lyrisme classique, où les complexités intérieures des personnages rejoignent les grandes mutations de l’Histoire. Autour du personnage de Samba, double de la vision idéaliste et romantique du cinéaste, se concentrent les nœuds dramaturgiques. On regrettera une paire de scènes par trop didactiques mais vite oubliées dans le flux d’un récit où, aux conflits de génération, s’ajoute progressivement les trahisons et divisions. Le destin de Lara, mariée de force au petit-fils du chef de son village est inexorable alors que le projet socialiste s’enlise entre répression et paranoïa. Les thèmes de la musique originale composée par Olivier Alary infuse une sourde inquiétude dont le vague à l’âme sert de contrepoint aux pulsations des standards franco-américains.

Le film a été tourné en français (davantage parlé à l’époque qu’aujourd’hui) avec nombre de comédiens français d’origine africaine. Parmi ce casting formidable brille comme une pépite : Alice Da Luz, véritable révélation du film. Son physique gracile et sa voix assurée lui donne tous les âges possibles entre 13 et 18 ans, indétermination qui sert la transformation du personnage. Il ne faut rien révéler de la fin du film, seulement constater que Robert Guédiguian ne se résignera jamais (l’épilogue permet de préciser que le film, compte-tenu du contexte politique malien actuel, a été tourné au Sénégal). S’il garde toujours la juste distance, suffisamment près de ses personnages pour faire battre les cœurs, suffisamment loin de son propos pour questionner la raison, son cinéma trouve, sur le continent africain, une ampleur nouvelle qui devrait lui permettre d’élargir son cercle de fidèles.

Bande-annonce

5 janvier 2021 – De Robert Guédiguian
avec Stéphane Bak, Alicia Da Luz Gomes, Saabo Balde


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