THUNDERBOLTS*
Une équipe de anti-héros peu conventionnelle : Yelena Belova, Bucky Barnes, Red Guardian, Le Fantôme, Taskmaster et John Walker. Tombés dans un piège redoutable tendu par Valentina Allegra de Fontaine, ces laissés pour compte complètement désabusés doivent participer à une mission à haut risque qui les forcera à se confronter aux recoins les plus sombres de leur passé. Ce groupe dysfonctionnel se déchirera-t-il ou trouvera-t-il sa rédemption en s’unissant avant qu’il ne soit trop tard ?
Critique du film
Trente-six films. C’est le chiffre impressionnant atteint par le Marvel Cinematic Universe avec la sortie de Thunderbolts* ce mercredi 30 avril. Trente-six films d’une entreprise de spectacles inédite dans l’histoire du cinéma et autant d’occasions de faire tourner la machine à cash de Disney. Mais depuis quelques années, la machine paraît de plus en plus essoufflée, et le temps des succès assurés un lointain souvenir, au point que certains s’interrogent et parlent de « superhero fatigue ». Une menace sur le business que Disney ne prend pas à la légère nous assurant à chaque nouvelle sortie que les leçons ont été tirées et les erreurs passées comprises, et que le temps du renouveau est arrivé. Ce Thunderbolts* et ses anti-héros vont-ils enfin nous procurer le frisson attendu, ou bien va-t-on encore assister aux derniers râles d’un patient en état de mort cérébrale ?
Après une Phase IV plus que laborieuse, Thunderbolts* devait clôturer dignement une piteuse Phase V débutée avec un Ant-Man et la Guêpe : Quantumania de triste mémoire et marquée par des échecs aussi critiques que commerciaux (The Marvels ou Captain America : Brave New World). Mieux, le film était censé marquer un virage tant dans le fond que dans la forme. Disney n’a pas lésiné sur la promotion à grand renfort d’annonces tapageuses promettant ici un ton plus sombre et là une approche plus « arty« . Le MCU allait-il enfin nous offrir du cinéma ? Florence Pugh, interprète de la nouvelle Black Widow, allait même jusqu’à comparer le film à une production A24. Une analogie audacieuse avec une société connue pour ses œuvres originales et innovantes, soit l’exact opposé de la stratégie Disney.

Ne ménageons pas le suspense, cette comparaison est une vaste supercherie tant Thunderbolts* reste désespérément englué dans les travers habituels d’un studio incapable de prendre de véritables risques. Certes, le film a le mérite d’aborder (en surface) des thématiques plus graves, comme la santé mentale, la dépression face au vide de l’existence et la recherche désespérée d’un sens à sa vie. Le personnage de Sentry, super héros artificiellement conçu par la CIA pour servir ses desseins stratégiques, incarne cette tension entre apparence et fracture intime. Rongé par une double identité instable, il aurait pu devenir le vecteur d’une réflexion plus profonde sur la maladie psychiatrique ou la perte de repères. Mais une fois encore, ces thèmes restent à peine ébauchés, survolés sans idées, et paraissent davantage comme de l’opportunisme plutôt qu’un véritable engagement.
SENTRY OU LA MENACE DU VIDE
Hélas, l’histoire amorphe du film n’est pas sauvée par la mise en scène de Jake Schreier. Dans la plus pure tradition Marvel, la firme est allée chercher un énième réalisateur méconnu issu du cinéma indépendant, un yes man choisi davantage pour sa malléabilité et sa perméabilité aux attentes du grand manitou Kevin Feige, que pour son style et sa singularité. Les quelques scènes d’action, anecdotiques et sans relief, succèdent à de (beaucoup trop) longs monologues introspectifs sans que jamais une réelle tension n’émerge. On s’ennuie ferme, trop rarement réveillé par quelques scènes humoristiques sympathiques. Même la révélation de la puissance de Sentry, esquissée trop brièvement dans un huis clos bâclé, et celle de son alter égo maléfique The Voïd dans le dernier acte, ne parviennent pas à ranimer l’intérêt. On compte tout juste quelques minutes de sursaut au milieu de l’apathie générale, ajoutant surtout de la frustration face à ce qu’aurait pu être le film avec un peu d’audace et d’énergie.

Le traitement des personnages, pourtant au cœur de la promotion, achève d’enterrer tout espoir : à part Florence Pugh, autour de qui tourne l’essentiel du récit, tous les autres protagonistes ne sont que des faire-valoir, dépourvus d’écriture et d’évolution, y compris le Winter Soldier de Sebastian Stan. Julia Louis-Dreyfus, dans le rôle de Valentina Allegra de Fontaine, est bien présentée comme la véritable méchante du film. Mais là encore, la menace reste toute relative : manipulatrice plus que dangereuse, son personnage renvoie, sans doute volontairement, à son interprétation de Selina Meyer, politicienne cynique et arriviste dans la géniale Veep, mais sans jamais atteindre le mordant jubilatoire de la série. Dommage, car une exploration plus poussée de cette figure aurait pu offrir au film une ambiguïté morale salutaire.
En fait, Thunderbolts* montre son utilité lorsqu’il agit comme un produit de nettoyage industriel, liquidant les erreurs passées, effaçant de l’histoire des personnages sans intérêts comme Taskmaster, la pseudo-méchante de Black Widow que tout le monde avait oublié et qui disparaît dans l’indifférence la plus totale. Un spoiler qui n’en est pas un puisque que Marvel ne s’embarrasse même pas de maintenir un semblant de mystère autour de ses films, la firme ayant déjà annoncé fièrement qui des Thunderbolts seraient présents au casting du prochain Avengers, ruinant avant même la sortie tout suspense concernant le sort des héros à l’écran. Même l’énigme autour de l’astérisque du titre a déjà été éventée avant la sortie. Comment créer de l’intérêt, du frisson, du drame quand la communication dézingue les enjeux avant même que le film ne commence ?

LE PLAIDOYER DE MARVEL EN FAVEUR DE L’EUTHANASIE
En réalité, cette nouvelle mouture incarne parfaitement l’absence de conséquences émotionnelles à laquelle Marvel nous a tristement habitués avec ses films : un méchant finalement inoffensif, des héros qui traversent les épreuves sans jamais en être durablement affectés, une promesse de chaos qui accouche d’un statu quo désespérant. À la fin, tout est effacé, oublié, comme si de rien était. Une belle métaphore de l’état du MCU, où l’on recycle en boucle les mêmes figures, les mêmes enjeux frelatés, les mêmes rebondissements sans impact. Dans ce contexte, les deux scènes post-génériques, marques de fabriques du MCU censées maintenir l’illusion d’un avenir radieux et excitant, sont un modèle de f*utage de gueule tant celles-ci n’ont pas le moindre intérêt et suscitent autant d’ennui que le film qui a précédé. On peut au moins saluer la cohérence générale…
Face à ce Thunderbolts* en état végétatif, il ne semble y avoir qu’un miracle pour permettre le réveil de l’entreprise Marvel. On sait déjà que la Phase VI, amorcée par le prochain The Fantastic Four : First Steps, sera chargée de la mission épineuse de ressusciter un univers moribond et à la dérive. Avec, en filigrane, l’annonce du retour prochain de Robert Downey Jr en Docteur Doom ! Une preuve supplémentaire que Marvel, à court d’idées, n’a d’autres solutions que de chercher dans son passé couronné de succès les remèdes à ses maux présents. Mais, encore un peu plus qu’avant, la question mérite d’être posée : et si, finalement, il était déjà trop tard pour le patient Marvel ? Quand un organisme a perdu toute capacité de renouvellement, faut-il encore espérer son réveil ? Ou accepter qu’il est temps de débrancher la machine ?






