Reality 2

REALITY

Le 3 juin 2017, Reality Winner, vingt-cinq ans, est interrogée par deux agents du FBI à son domicile. Cette conversation d’apparence banale parfois surréaliste, dont chaque dialogue est tiré de l’authentique transcription de l’interrogatoire, brosse le portrait complexe d’une milléniale américaine, vétérane de l’US Air Force, professeure de yoga, qui aime les animaux, les voyages et partager des photos sur les réseaux sociaux. Pourquoi le FBI s’intéresse-t-il à elle ? Qui est vraiment Reality ?

Critique du film

Il y a comme un paradoxe jusque dans l’identité du personnage principal du premier long-métrage de Tina Satter, dramaturge devenue cinéaste. Reality Winner, ex-militaire de l’US Air Force, linguiste spécialisée dans le moyen Orient, un nom qui connecte cette histoire presque instantanément avec le contemporain et les problématiques qui hantent les Etats-Unis des années 2020. Si elle est la réalité de son pays, un agacement face à une dérive démocratique, elle semble être, non pas la gagnante de l’histoire, mais bien le bouc émissaire dont se saisit le FBI et l’Etat fédéral pour régler ses comptes avec les fameux « lanceurs d’alerte ». Dès les premiers instants est indiqué que le dispositif du film ne va pas s’inspirer de faits réels, mais les reproduire au plus près, chaque mot entendu étant issu de la retranscription officielle issue des enregistrements effectués lors de l’arrestation de Reality Winner. La frontière entre fiction et cinéma du réel est ici très mince et questionne sur la forme employée.

Sidney Sweeney (connue notamment pour son rôle dans la série Euphoria) joue Reality, arrêtée devant chez elle par deux agents du FBI. Le choix de s’en tenir strictement aux mots de l’enregistrement officiel crée un étonnant paradoxe : les scènes où se multiplient questions, bégaiements, fausses pistes, semblent plus irréelles et fabriquées que bien des scénarios de fiction. Tout le barnum qui se met en place devant et à l’intérieur de la maison de Reality, prend presque des allures grand guignolesques, notamment avec l’intérêt hallucinant porté aux animaux, bien plus qu’aux armes nombreuses cachées dans chaque pièce. Cette installation particulière crée un sentiment d’inconfort grandissant, augmenté par la placidité du personnage principal, qui coopère gentiment à cette mascarade qui l’entoure avant de l’étouffer.


C’est tout le talent de cette proposition de cinéma que de jouer avec les mots du réel pour signifier leur absurdité, enchâssés dans une chasse aux sorcières dont on ne comprend pas grand-chose, la trahison énoncée n’étant jamais réellement explicitée. Un article de l’intranet de la NSA a été communiqué à un site d’informations en ligne ? Comment comprendre la sévérité de la sanction qui tombe sur l’accusée au regard de la facilité avec laquelle les informations circulent à l’intérieur même des équipes de sécurité et la porosité propre à l’époque où tout circule aisément. Au-delà de l’absurdité de la situation décrite, c’est tout un climat de paranoïa et un enjeu de pouvoir majeur, les élections étasuniennes supposées truquées par la Russie, qui attirent toute la lumière du film.

Reality est un exercice de style intrigant qui épouse le réel qui devient pastiche dans toute la crudité de ses échanges. Il faut noter enfin les bonnes idées de mise en scène affichées, comme le fait de faire disparaître un personnage au moment où ses propos sont « édités » et mis en sourdine dans le rapport officiel. Le réel est alors mis entre parenthèses, évidé de la version officielle car jugé « top secret ». Cette notion même est ringardisée par les images de plateaux télévisuels qui jouent avec la vérité pour mieux raconter leur script du contemporain, toujours plus piégé dans une idéologie dogmatique et patriotique.

Bande-annonce

16 août 2023 – De Tina Satter, avec Sidney Sweeney, Josh Hamilton et Marchant Davis.




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