L’ILLUSION DE YAKUSHIMA
Corry, une jeune femme française, est infirmière coordinatrice de transplantation cardiaque pédiatrique. Formée dans les hôpitaux parisiens, elle a été envoyée dans un hôpital au Japon pour améliorer le fonctionnement d’un service de transplantations où les greffes d’organes sont encore largement un sujet tabou. Corry se bat au quotidien pour réussir la greffe d’un jeune patient d’une douzaine d’années, et vit avec Jin, un photographe originaire de l’île de Yakushima à l’extrême sud du Japon.
Critique du film
Cinq ans après le sublime True Mothers, Naomi Kawase signe son retour à la fiction avec L’illusion de Yakushima, présenté en compétition au Festival du Film de Société de Royan, quelques semaines après sa première mondiale à Locarno. La cinéaste japonaise, habituée à explorer les zones troubles de l’âme humaine et les tabous de la société nippone, poursuit ici sa réflexion sur le deuil et la connexion entre les êtres, thèmes récurrents d’une œuvre qui mêle avec une grâce rare la poésie visuelle à l’introspection fragile. Face à sa caméra, Vicky Krieps confirme qu’elle est devenue l’une des grandes actrices européennes de sa génération. Après son immense prestation dans Love Me Tender, l’actrice luxembourgeoise trouve en Kawase une complice idéale pour incarner les nuances de la perte et de la résistance.
Corry, spécialiste française des transplantations cardiaques pédiatriques, travaille dans un hôpital de Kobe où elle se heurte à la résistance culturelle du Japon face au don d’organes. Dans un pays où la mort cérébrale n’est pas universellement reconnue comme une mort définitive, où les familles hésitent à donner leur consentement, les listes d’attente s’allongent déraisonnablement et des enfants meurent, parfois après des années d’espoir vain. Corry se bat avec une détermination tranquille pour sauver ces vies, argumentant auprès de collègues partagés entre scepticisme et résignation. Mais sa vie à elle bascule lorsque Jin, son compagnon photographe, rencontré trois ans auparavant sur l’île de Yakushima lors d’une randonnée dans les forêts luxuriantes, disparaît soudainement. Entre son combat professionnel pour maintenir des enfants en vie et sa quête personnelle d’un homme peut-être disparu à jamais, Corry se retrouve confrontée à la question vertigineuse : quand faut-il accepter qu’une vie s’est éteinte ?
De battre nos cœurs ne s’arrêteront pas
Kawase déploie son lyrisme visuel habituel avec les directeurs de la photographie Masaya Suzuki et Arata Dodo. Les forêts de Yakushima, filmées en drone et en pellicule, deviennent des espaces presque oniriques où la frontière entre réel et illusion se brouille. La photographie est d’une limpidité envoûtante, même si l’esthétique lumineuse du film peut parfois basculer dans l’emphase. Mais cette sensualité visuelle ne tombe jamais dans le mélodrame facile. Kawase fait preuve d’une habileté digne de son compatriote Hirokazu Kore-eda, notamment dans sa direction des jeunes membres de sa distribution, et livre une résolution humaniste sans verser dans le sentimentalisme.

La narration glisse entre présent et passé avec une fluidité qui reflète l’état mental de Corry, de 2022 à 2025. On la voit aujourd’hui faire ses rondes à l’hôpital, dispensant une douceur rassurante aux enfants et à leurs familles angoissées, puis on remonte trois ans en arrière lors de sa rencontre avec Jin. Ce montage non-linéaire peut sembler parfois capricieux, revenant sur des points narratifs déjà implicites, mais il permet de tisser subtilement les deux niveaux du récit : le combat médical et la perte personnelle.
Vicky Krieps porte le film sur ses épaules avec une maîtrise bouleversante. Sa performance offre un courant stable et stoïque de chagrin inexprimé, même lorsqu’elle prononce des répliques exigeantes. L’actrice incarne la gentillesse, le deuil, la détermination et la fragilité, manifestement à l’aise sous le regard intense de Kawase. Face à elle, Kanichiro compose un Jin taciturne et mélancolique dont la présence hante le film même après sa disparition. Leur chimie repose sur un calme partagé, une compréhension mutuelle de la perte qui rend leur séparation d’autant plus déchirante.
L’illusion de Yakushima interroge ce qui demeure quand tout s’évanouit. À travers l’histoire de Corry, la cinéaste nous rappelle que la connexion humaine, même éphémère, même illusoire, reste ce qui nous maintient en vie. Et que parfois, sauver un cœur, c’est aussi apprendre à en porter l’absence.
29 avril 2026 – De Naomi Kawase






