LES HERBES SÈCHES
Samet est un jeune enseignant dans un village reculé d’Anatolie. Alors qu’il attendait depuis plusieurs années sa mutation à Istanbul, une série d’événements lui fait perdre tout espoir. Jusqu’au jour où il rencontre Nuray, jeune professeure comme lui…
CRITIQUE DU FILM
Dans une petite ville isolée d’Anatolie Orientale, la neige s’étale à perte de vue, silencieuse, uniforme. Au cœur de cette blancheur sans fin, Samet, professeur d’arts plastiques, glisse lentement vers l’amertume et la morosité. Samet n’est pas à proprement parler antipathique – il est pire : il est englué dans une lucidité vaine, dans un regard ironique et désabusé sur tout ce qui l’entoure.
Le film suit son quotidien monotone, ses cours donnés sans convictions, ses échanges tièdes avec ses collègues et cette relation trouble, ambiguë, avec une élève qui deviendra le point de départ d’une accusation jamais vraiment clarifiée. Mais cette trame, qui pourrait porter une tension dramatique forte, reste en surface, presque inexploitée par la suite. L’accusation est posée, discutée, débattue, mais jamais explorée dans sa complexité éthique et morale. Elle devient un prétexte pour révéler le malaise de Samet, plutôt qu’un véritable enjeu du récit.
C’est dans les dialogues, très nombreux, que le film cherche son intensité. Mais cette abondance finit par peser. On assiste à de longs face-à-face où les personnages s’expliquent, se contredisent, analysent leurs propres contradictions avec une précision intellectuelle souvent brillante, mais qui laisse peu de place à l’émotion brute. Les dialogues deviennent d’interminables débats existentiels, faisant monter une tension qui ne parvient jamais à son terme, et le spectateur finit par décrocher.

Heureusement, le film trouve par instant un élan inattendu, notamment dans la rencontre avec Nuray, une enseignante militante qui oppose à la passivité de Samet une volonté d’engagement, une croyance même vacillante, en quelque chose de plus grand. Leurs échanges sont parmi les plus vifs du film. Nuray, avec sa douleur assumée et sa lucidité sans cynisme, bouscule le regard de Samet et réveille chez lui un désir confus, peut-être amoureux, sûrement idéologique. Elle incarne un autre rapport au monde où la désillusion n’est pas une excuse de retrait.
Samet, par ailleurs, est un être ambivalent. Il est à la fois solitaire et associable, mais il n’apparaît presque jamais seul, toujours entouré d’amis, et reste le premier à prendre la parole, bien souvent en créant le débat. C’est un personnage à part. Même le spectateur ne sait pas s’il doit l’apprécier ou le blâmer. D’un côté, il paraît être la victime collatérale d’une affaire de jalousie, d’un autre, c’est un être froid et insensible qui ne répand autour que du pessimisme. Aussi, ses relations sociales restent un mystère. Entre son colocataire qui semble être à la fois son plus proche ami, mais aussi la personne dont il se tient le plus à l’écart, et Nuray, dont la rencontre mène à de vives discussions de principes mais qui pourtant à les relations les plus intimes, Samet reste une énigme pour le spectateur.
Dans Les herbes sèches, le décor tient une place particulière. Les cadrages sont soignés, les paysages sont imposants, presque oppressants. La neige devient un personnage à part entière : elle isole, ensevelit, étouffe les voix. Le moindre déplacement semble peser sur l’atmosphère du film et le bien-être des personnages. On sent derrière une certaine volonté de sonder le mal-être, d’interroger la fatigue morale d’un homme face à un monde qu’il ne parvient plus à aimer. Mais à force de ne pas choisir entre drame intime ou portrait social, le film finit par rester en retrait de tout. Samet semble chercher un sens, mais le film, lui, semble hésiter à en proposer un.
Les herbes sèches est une œuvre ambitieuse, belle, profonde, parfois engourdie par son propre ton, sérieux et vague. Un film qui fascine autant qu’il épuise et qui, à force de vouloir tout dire, finit par laisser trop peu à ressentir.
Bande-annonce
12 juillet 2023 – De Nuri Bilge Ceylan, avec Merve Dizdar, Deniz Celiloğlu et Musab Ekici.






