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LA MORT N’EXISTE PAS

Lors d’un attentat contre de riches propriétaires, Hélène abandonne ses compagnons et s’enfuit dans la forêt. Manon, son amie et complice lors de l’attaque, revient la hanter, pour lui offrir une seconde chance. Ensemble, elles affrontent le choix impossible entre violence et inaction. Si c’était à refaire, jusqu’où Hélène ira-t-elle cette fois au nom de ses idéaux ?

Critique du film

Nous savons combien il est difficile pour les films d’animation d’arriver « à l’heure » et de s’inscrire pleinement dans l’actualité sociale et politique au moment de leur sortie, du fait de temps de production longs et de la complexité du montage de projets. Pourtant, le propos du long-métrage de Félix Dufour-Laperrière, dont les contours ont sans doute été dessinés plusieurs années auparavant, trouve en ce début d’automne 2025 un écho évident dans le durcissement autoritaire et fascisant du climat politique américain et français, qui s’est brutalement accentué ces derniers mois.

La nécessité de l’action – ou, à tout le moins, d’une réaction – s’est traduite par d’importantes mobilisations populaires en France et ailleurs ces quinze derniers jours, et préoccupe également plusieurs créateurs du monde audiovisuel : les auteurs de South Park, qui lancent dans leur nouvelle saison une charge contre l’administration Trump et sa mainmise sur les médias ; ou encore Paul Thomas Anderson, qui met en scène un groupe révolutionnaire antiraciste dans son dernier film sorti il y a quelques jours. Mais alors que le ton global de cette réponse culturelle est à la satire – le premier détourne les images de propagande du gouvernement américain, le second souligne le ridicule qui émerge dans l’urgence –, La Mort n’existe pas affronte son sujet de face, avec un sérieux rare, qui engage à la fois l’individualité de son héroïne, Hélène, et celle du spectateur.

Le positionnement est clair dès la première séquence : Hélène et ses amis, réunis dans une forêt aux abords d’un manoir, préparent un attentat armé. Les raisons en sont volontairement floues (destruction de l’environnement, concentration des richesses, domination d’une élite…), mais elles laissent transparaître une évidence : l’inaction face à la situation politique est devenue insupportable, écœurante, inenvisageable. Félix Dufour-Laperrière n’aborde pas la réaction par le prisme de la réalité et du détail, mais comme un phénomène global : il interroge la nécessité de la violence et la capacité de l’individu à y recourir. Cette réflexion se construit toutefois dans la douleur : d’une part, parce que l’assaut échoue et que l’hésitation d’Hélène contribue à la mort de ses amis ; d’autre part, parce que la jeune femme bascule soudain dans un espace-temps irréel, sorte de purgatoire où elle ressasse le souvenir de l’événement à venir, avec peut-être la possibilité d’en changer l’issue.

La mort n'existe pas

Le film s’engage alors dans un registre métaphorique, puisant dans la force expressive de l’animation pour figurer la fonction réparatrice de l’introspection (la chair se reconstituant sur un mouton dévoré par les loups, la nature absorbant à toute vitesse manoir puis ville). Ces images, fortes mais jamais surlignées, ne se veulent pas des énigmes à décrypter : elles servent de liaisons, de pauses ou de contrepoints à la longue discussion philosophique entre Hélène et son amie Manon, revenue auprès d’elle comme un double fantomatique.

À partir de là, La Mort n’existe pas s’affirme comme un film qui s’intéresse d’abord au langage. Le trouble d’Hélène prend forme dans la parole : prise de conscience de son échec, de ses limites morales, de sa finitude qu’elle n’a pas pu – ou su – mettre en jeu lors de l’assaut. L’intériorité du personnage devient un terrain d’exploration : un moment de vulnérabilité où les questions incisives de Manon résonnent comme celles d’une conscience torturée. La réflexion sur le sacrifice, la nécessité de la violence et la définition des valeurs humaines oscille entre l’intime et le global, part du personnel de l’héroïne pour atteindre un horizon qui interpelle directement le spectateur. L’inconfort qui s’installe – partagé par Hélène et le public – naît de l’intelligence de l’écriture et de la chaleur des voix, au ton simple et égal, canalisant le bouillonnement intérieur que les images laissent deviner.

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L’importance accordée à la langue orale éclaire aussi le traitement visuel des personnages : leur peau, leurs vêtements et leurs visages sont recouverts d’une couleur unie, amorçant une métamorphose en statue (de marbre, de bronze, d’or selon les scènes), que seule la parole vient contrecarrer et réchauffer de l’intérieur. Mais le film reste hanté par sa première image : un gros plan sur la gueule figée d’un loup, rictus sauvage qui ne s’anime jamais. La caméra révèle une sculpture au milieu d’un jardin peuplé d’autres statues, toutes connotées négativement (haine, trahison…). Cette séquence avertit du risque de radicalisation figée, au point de quitter le vivant pour basculer dans la caricature. Pourtant, cette épée de Damoclès ne contredit pas la quête de seconde chance qui guide Hélène à travers son purgatoire.

Danger et espoir, immobilisme et action : le film les place comme deux extrêmes d’une même ligne, et en fait l’affirmation politique la plus notable, jusqu’à son principe technique d’animation. Une matière immuable – aplats unis de peinture – perdure au-delà du montage et sert de support aux lignes et aux ombres qui dessinent figures et mouvement. L’idée est là : notre monde est une matière préexistante, concrète et apparemment figée, sur laquelle nous pouvons toutefois écrire, projeter, modeler tout autre chose, ouvrant un champ de possibilités particulièrement salvateur.

Bande-annonce

1er octobre 2025 – De Félix Dufour-Laperrière


Cannes 2025 (Quinzaine) – Annecy 2025