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FRIDAY NIGHT LIGHTS

Il reste trois secondes à jouer. Les Lions d’East Dillon ont la possession pour marquer et gagner le championnat des lycées de l’Etat du Texas. Le snap est réussi, Vince Howard a la balle en main. Il feinte un joueur qui monte sur lui pour le plaquer, se resitue, avance et envoie la balle en l’air vers l’en-but adverse. Le ballon monte dans le ciel. Les yeux se lèvent et les respirations cessent. Il tourne lentement en prenant de l’altitude dans la nuit texane. Le temps s’arrête.

Critique de la série

Et dire que Friday Night Lights aurait pu s’arrêter dès sa seconde saison.

Pourtant, cette adaptation du film éponyme de Peter Berg (sorti en 2004) avait tout pour plaire au public : un sport ultra-populaire (le foot US donc) dans un milieu texan qui sent bon les valeurs de l’Amérique, de belles histoires, du sang, des larmes, des amours adolescents ; FNL avait tout en théorie pour être un carton public. Mais de par son dispositif proche du documentaire – un usage unique de la caméra à l’épaule et des scènes tournées en une ou deux fois maximum pour donner une âme aux échanges entre les personnages et aux actions sur le terrain – ainsi que par sa volonté d’utiliser le sport pour établir un portrait social d’une ville moyenne texane, en proie à la crise économique et aux horizons bouchés, la série est bien loin du soap feel-good qu’elle aurait pu être. 

Clear eyes, full hearts, don’t lose

Pas vraiment le genre de séries pour une chaîne pas vraiment connue pour sa patience et en crise créative et identitaire. En 2006, NBC est en déclin après les glorieuses 90’s, même si The Office sauve les meubles côté comédie (bientôt suivie par 30 Rock). Avec FNL et Studio 60 (avec Aaron Sorkin à la création), la chaîne au paon tente le all-in sur les drames de qualité. La seconde s’arrêtera net dès sa première saison, malgré son pilot légendaire. Quant à FNL, au premier épisode tout aussi grandiose, elle survivra, mais péniblement : c’est un partenariat avec The 101 Network, une chaîne câblée de WarnerMedia, qui sauvera la série et lui permettra de durer cinq saisons au total, avec les trois dernières raccourcies à 13 épisodes.

Il faut dire que FNL a donné le bâton pour se faire battre. Après une première saison magistrale de bout en bout (la seule qui dure 22 épisodes), la série décide d’oublier ses racines et de se tourner vers le drama bas de gamme ; une grossière erreur, tant FNL ne brille pas réellement par ses intrigues amoureuses ou ses disputes conjugales. Ce qui fait son réel intérêt est de voir tous ces personnages – de la famille Taylor (coach Eric, Tami et Julie – Kyle Chandler, Connie Britton et Aimee Teegarden) aux difficultés vécues par Matt Saracen (le rôle d’une vie pour Zach Gilford) et sa grand-mère, en passant par Smash Williams et ses rêves d’Université, le marginal Tim Riggins ou le déchu Jason Street – vivre leurs vies et évoluer au sein de cette ville où le foot US est le poumon de la communauté. On ne peut pas séparer Dillon de ses personnages et vice-versa.

Petit miracle

Le petit miracle de FNL est d’avoir créé un écosystème crédible où tout le monde, du personnage principal au plus petit rôle secondaire, existe et évolue, nous permettant de nous attacher à eux, sans user d’intrigues artificielles et tirées par les cheveux comme la deuxième saison a voulu imposer au spectateur (n’est-ce pas Landry et tout ce qui tourne autour de lui).

Heureusement, les trois dernières saisons reprennent les bases qu’avait instauré la première, notamment sur l’analyse de Dillon et cette neutralité quant aux personnages. C’est une autre particularité de FNL qui peut poser problème : la série montre en effet des personnes entières, capables d’être concernés par un problème social ou/et politique touchant la communauté tout en étant aussi perclus de défauts en tout genre. Prenons comme exemple le couple Taylor : Eric est représenté dans le vestiaire comme une figure paternelle et protectrice des adolescents dont il a la charge et qu’il défend à maintes occasions (qu’il soit chez les Panthers ou les Lions) ; il n’en reste pas moins obtus dès que la place du football est remise en question ou à l’idée que sa femme puisse avoir sa propre carrière professionnelle (du premier au dernier épisode) et fait preuve d’un conservatisme et d’une hypocrisie à toute épreuve dès que sa fille Julie prend une décision logique pour une adolescente. Tami quant à elle est une femme volontaire qui s’investit dans son métier d’équivalent de CPE/conseillère d’orientation au lycée de Dillon, féministe et proche du parti démocrate ; pourtant, elle aussi fait preuve d’un conservatisme à toute épreuve avec sa fille mais aussi avec la plupart de la gent féminine de la série, notamment en étant très dure avec Tyra dans la saison 2. 

Friday night lights

La morale de l’histoire

Cela pourrait être énervant dans une série se prétendant être porteuse d’une morale progressiste à toute épreuve et tournant son œuvre pour promouvoir cette morale ; on trouverait cela hypocrite et racoleur, comme dans la deuxième saison (avec tout le discours malsain autour du viol et de la relation Landry/Tyra). Or ici, comme FNL a pour vocation de capter l’essence d’une communauté, ces défauts apparaissent au contraire comme une marque d’honnêteté et de lucidité. C’est au spectateur de faire le tri dans tout cela pour savoir ce qu’il garde et ce qu’il rejette ou condamne. C’est en cela que FNL peut se rapprocher de ce que David Simon a pu faire (notamment sur The Corner) : une observation caméra à l’épaule au plus près de personnes pendant plusieurs années. Le poids dramatique accumulé peut donc exploser dans des épisodes doux-amers comme Hello, Goodbye, brutaux comme The Son (la scène où Matt Saracen prend la pelle au cimetière est une des plus dures qui ait été filmée) ou d’une quiétude stimulante comme Thanksgiving, où Kyle Chandler sort une de ses prestations les plus calmes et inspirantes de sa carrière.

Il est nécessaire de saluer ici le boulot abattu par les scénaristes pour avoir remonté la pente après la seconde saison et avoir pu continuer d’innover jusqu’à la fin de la série. Malgré le raccourcissement des trois dernières saisons, frustrant car empêchant de suivre une montée en puissance similaire à la première, FNL se permet même le luxe de se renouveler en déménageant à la fin de la troisième saison son oeil sur East Dillon High, le lycée du quartier pauvre de Dillon, à majorité noire. Un environnement socio-économique différent qui rabat les cartes et intègre de nouveaux codes à la série.

La saison 4, la plus développée sur East Dillon, pose d’ailleurs d’emblée le rôle de coach Taylor (et d’un Buddy Garrity venu s’incruster dans le projet) : pas question de jouer au Messie blanc-bec venu sauver la communauté ; il lui faudra s’engager réellement sur la durée pour pouvoir recevoir l’appui de cette dernière dans son effort pour faire gagner les Lions. Un travail main dans la main qui est symbolisé sur le terrain par son engagement dans le développement de Vince Howard (sublime Michael B. Jordan), une petite frappe qui deviendra le QB1 de l’équipe, mais aussi par son action en faveur de Tess, qui devient ainsi une des premières assistantes coach – avec l’appui d’un coach Taylor devenu soudainement progressiste.

Alors pour ces première et quatrième saisons qui font parties de ce que les networks ont sorti de mieux dans leur histoire et pour ses personnages, il faut voir FNL. Peu importe au fond le Texas et tout le propos patriotique, la série sait qu’elle peut compter sur son écriture et son casting cinq étoiles (peu importe les saisons et les changements de têtes d’affiches) pour emporter le cœur de n’importe quel téléspectateur qui souhaite s’investir émotionnellement dans une série au long cours.

Une série qui a su aussi cerner et anticiper certaines problématiques propres au football US, comme le traitement du racisme par ses instances (Colin Kaepernick et son genou à terre interviendront des années plus tard), la misogynie dans le milieu du sport ou les failles du système sportif lycéen dans ses techniques pour attirer les jeunes talents prêts à tout pour attraper le graal de la Bourse universitaire et sortir d’une misère qui leur tend les bras.

Et finalement le ballon redescend au paradis.

Clear eyes, full hearts… we’ll deal with that later.


Disponible en intégralité sur OCS


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