EVIL DEAD
Cinq jeunes vacanciers s’installent dans une baraque au cœur d’une sinistre forêt. En descendant dans une cave lugubre, les deux garçons de la bande découvrent un vieux magnétophone qui, une fois remis en marche, émet une incantation magique. Laquelle réveille les forces du mal, déclenchant ainsi une horreur sans nom…
« We’re going to get you. We’re going to get you. Not another peep. Time to go to sleep. »
Film d’horreur à petit budget et petite équipe, Evil Dead, réalisé et écrit par Sam Raimi, apparaît sur les grands écrans en 1981, ou plutôt sur un grand écran à Détroit, avant de s’exporter à Cannes, non pas le festival mais le marché, l’année suivante. La chance sourit alors au réalisateur : Stephen King est spectateur, il aime le film, et lui écrit une review élogieuse. Lorsqu’un tel maître de l’horreur s’intéresse à quelque chose, les autres critiques, et compagnies de distribution, suivent. Evil Dead est un succès international, critique et commercial, malgré son classement X. Devenu une série de films (et tv en 2013) depuis, il a acquis le statut de « film culte » et de classique incontournable pour les fans d’horreur, malgré les décennies qui ont passé. Qu’en est-il lorsque regardé pour la première fois en 2020 ?
Ah, un groupe de jeunes étudiants vont passer leurs vacances dans une cabane au fin fond des bois, bien perdus dans le Tennessee. Si des décennies de films d’horreur nous ont habitué à ce trope, au point d’en faire des parodies et des films sur les parodies, le genre du slasher, où le tueur « psychopathe » tue un à un les membres d’un tel groupe, est alors en train de connaître son âge d’or. Vendredi 13 est un nouveau né, Halloween, Black Christmas et Massacre à la tronçonneuse en sont à leur premier opus. Arrivés sur place, les spectateurs découvrent avec eux la cabane dont l’état ne laisse pas vraiment à désirer, mais qui comprend, inexplicablement ou presque, une sorte de remise aux murs couvertes de scies, chaînes et reliques, ainsi qu’une cave, accessible par une trappe. Cela n’arrête pas notre bande de joyeux lurons de dîner, boire et s’amuser. De toute façon, même s’ils avaient été plus familiers du genre, ils n’auraient pas été sauvés.
En effet, ce n’est pas Jason, ou plutôt Pamela, qu’il faut craindre à chaque recoin mais une entité démoniaque sumérienne, invoquée par la lecture du Naturam Demonto, autrement dit le Livre des morts, version Lovecraft. Les indices sont bel et bien présents depuis le début. Les premières secondes du film nous amènent dans les bois, et les mouvements vacillants de la caméra-main suivent un bien étrange brouillard (difficile de ne pas penser à Fog de Carpenter sorti l’année précédente) que l’on retrouve dans la cabane. Ce sont les bois mêmes qui sont vivants, au sens surnaturel du terme, ou habités par une puissance maléfique. Une fois réveillée, elle attire Cheryl, la sœur de Ash Williams le protagoniste de la franchise, dans la forêt. La séquence du viol est sûrement la plus célèbre de ce premier film : au milieu du brouillard, toujours là et lourd, elle est attaquée par des branches qui la ligotent, la blessent et l’immobilisent avant de l’agresser sexuellement. Cette scène reste aussi glaçante, trente ans après, par sa pesanteur et sa rapidité, accompagnée de la poursuite de la jeune femme, en caméra subjective, qui réussit à se réfugier à l’intérieur, auprès de son frère et leurs amis. La première demi-heure du film fonctionne parfaitement dans cette ambiance hantée avec une Nature hostile qui semble contaminer peu à peu les environs, et les personnages.
Le film prend alors son tour démoniaque, et perd quelque peu en ambiance : Cheryl est possédée, il faut l’assommer et l’enfermer dans la cave, après qu’elle a attaqué le reste du groupe, et notamment Linda, la petite amie de Ash, d’un coup de crayon de papier dans la cheville. Budget oblige, et conditions de tournage, les effets « spéciaux » et maquillages ne sont pas particulièrement réussis ici, et le temps ne pardonne pas pour ces éléments. Comme Shelly, la petite amie de Scott qui est bien plus un protagoniste qu’Ash jusque là, les spectateurs ne peuvent pas s’empêcher de se demander : mais qu’est-il donc arrivé aux yeux de Cheryl ?
Si l’hommage au vaudeville américain est évident avec les chutes et atterrissages des personnages lors des scènes d’affrontement avec le démon, le film est surtout involontairement comique : il suffit d’observer Ash, ou plutôt Bruce Campbell, piégé sous une étagère et qui se débat pour s’en dégager. Contrairement au reste de la trilogie, Evil Dead n’est pas une comédie horrifique, incluant la parodie dans son propos. Cela ne veut évidemment pas dire qu’il n’y a pas de moments comiques, surtout d’humour noir, mais le premier film risque de surprendre les fans du reste de la franchise par son manque d’humour ou d’auto-dérision. Comme Ash, le ton du film évolue avec Evil Dead II en 1987. La seule tronçonneuse du film est bel et bien maniée par ce dernier, mais à l’aide de ses deux mains, et par ailleurs, elle n’est pas utilisée pour démembrer Linda, une fois possédée, comme recommandé par l’archéologue qui a trouvé en premier lieu le grimoire, recouvert de peau humaine et tracé de sang humain.
Parlons peu, mais parlons démembrement : si le film perd en ambiance, il gagne néanmoins sur le terrain du gore. Ash doit maintenant survivre, seul après la mort de Scott, contre ses amis et sa sœur, tous réanimés par le démon qui joue avec sa proie, mais ne semble pas vouloir l’achever, et n’y parviendra finalement pas, suite oblige. La seconde partie du film est davantage un film d’action et un splatter, ce qui lui a valu un tel rating et une qualification de « nasty » en Grande-Bretagne. Visage brûlé, poignet coupé puis main arrachée avec les dents, coups de poignards dans le dos, démembrement à la hache où l’on voit le résultat, décapitation à la pelle, etc. Le sang gicle, même des tuyaux de la cave, et éclabousse. Effets spéciaux vieillots ou non, il faut reconnaître au film de belles séquences gores et osées pour l’époque, et a certainement marqué un tournant dans l’explicite sur le grand écran pour tout le genre. Lorsque Ash triomphe enfin, les cadavres de ses amis se décomposent rapidement et horriblement, comme déchirés de l’intérieur par des mains démoniaques, avant que le corps de Cheryl explose et le recouvre d’entrailles, cadeau final de sa sœur. Cette séquence en stop-motion laisse aux spectateurs un arrière-dégoût, même lorsque nous quittons la cabane, et que le jour se lève. De même, le ton fantomatique ne disparaît pas totalement : Linda possédée se transforme en une poupée humaine, dont le rire, naïvement démoniaque, résonne à la fois hors caméra, poursuivant Ash, et dans l’esprit des spectateurs, qui vérifieront peut-être à deux fois ce qui se cache derrière la porte.
Si le film triomphe toujours par ces aspects, il s’embourbe néanmoins dans des clichés, déjà pour l’époque, et d’autant plus agaçants au 21e siècle. Le viol de Cheryl est une scène horrifique, mais également voyeuriste, et regrettée depuis par le réalisateur. Déjà exploité comme un ressort narratif ou tout simplement pour choquer, il s’accompagne d’une décevante misogynie (mais non surprenante) quelque peu typique des films d’horreur : Cheryl est doublement victime, d’abord violée, puis possédée, (voire triplement : elle est la « mad woman in the attic » qui les prévient, mais qui n’est pas crue, et considérée à la place comme hystérique) suivent alors Shelly, massacrée à coup de hache par son petit ami, et Linda, enterrée morte-vivante puis décapitée par le sien. Hors écran, l’archéologue a également dû démembrer sa femme pour se protéger, une fois qu’elle a été possédée : les hommes ouvrent la boîte de Pandore, et les femmes en subissent les conséquences. Heureusement qu’il y a des démons pour justifier tout cela, et Scott la victime collatérale, sinon le film prendrait un ton bien différent, et sûrement encore plus glaçant. Le Mal a vaincu.
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