Caught tides 2

CAUGHT BY THE TIDES

Chine début des années 2000. Qiaoqiao et Bin vivent une histoire d’amour passionnée mais fragile. Quand Bin disparaît pour tenter sa chance dans une autre province, Qiaoqiao décide de partir à sa recherche. En suivant le destin amoureux de son héroïne de toujours, Jia Zhang-ke nous livre une épopée filmique inédite qui traverse tous ses films et 25 ans d’histoire d’un pays en pleine mutation..

Critique du film

Il aura fallu attendre six longues années pour qu’un nouveau long-métrage de Jia Zhangke soit délivré, un long moment depuis Les éternels, présenté lui aussi au festival de Cannes en compétition. Déjà présent en tant qu’acteur dans le très beau Black Dog de son ami Guan Hu, sélectionné en compétition à Un certain regard, il se replonge avec ce Caught by the tides au cœur des grandes heures de sa filmographie. Comme toujours chez le cinéaste du Shanxi, le territoire a une importance fondamentale dans son film, réinvestissant le fameux barrage des Trois gorges, théâtre d’un des films qui l’a définitivement installé comme un des plus grands auteurs de sa génération, Still Life, Lion d’or à Venise en 2006. Zhao Tao est encore une fois le personnage principal de cette histoire, de fait les parallèles et citations auto-référentielles ne manquent pas.

Pourtant, Caught by tides revient vers une veine plus expérimentale chez Jia Zhangke. Il infuse une dose de documentaire au cœur de sa fiction, multipliant les formats d’image, avec un effet de décalage et de vignettes qui sont particulièrement saisissants. Zhao Tao est le véhicule qui va permettre de traverser cette histoire, comme une déambulation stupéfiante dans les ruines d’un cinema majeur. Là où A touch of Sin, sans doute sa plus grande œuvre, marquait l’esprit par une brutalité, métaphore de la société chinoise contemporaine, Caught by the tides surprend par une forme de douceur trompeuse, et une langueur qui s’installe dès les premiers instants du film.

Si le territoire est celui de Still Life, la gestion de la temporalité est quant à elle plus celle d’Au delà des montagnes (2015). Zhao Tao y effectuait des bonds dans le temps, la trame s’étirant pour faire changer de décors les personnages. Cette même idée habite ce nouveau long-métrage, tout autant que l’idée d’exploration. L’émotion jaillit dans le plan par le truchement de cette itinérance, sans qu’on est particulièrement besoin de savoir où elle va nous mener. Le voyage est si beau et captivant, de par tout ce qu’il apporte d’un point de vue sensoriel, que on a la sensation d’être submergé par une foule de détails envahissant les scènes.

caught by the tides

Le génie de Jia Zhangke est d’être à la fois dans la rétrospective personnelle, 25 ans de cinéma et autant de films fondamentaux et inspirants, mais aussi de radiographier avec toujours autant d’acuité la Chine contemporaine. Les territoires montrés par les caméras de Jia Zhangke sont toujours aussi éloignés de Shanghaï, Beijing, ou les autres grandes mégalopoles modernes chinoises, et pourtant, en suivant Zhao Tao à travers les paysages singuliers de Caught by tides, on a le sentiment de saisir au plus près une réalité beaucoup plus poignante que celle qui nous parvient par la profusion d’images diffusés par les canaux d’information. Jia Zhangke réussit cet exploit de renouveler une fois de plus notre regard sur cet immense pays, cela par le biais d’une histoire d’amour contrariée, et la prestance incomparable de cette grande actrice qu’est Zhao Tao.

Si l’on peut regretter que l’excès de citations entraîne par voie de conséquence une comparaison mentale permanente avec les autres grands films du cinéaste, on ne peut que retenir la finesse et l’audace de ce nouveau projet. Dans ces plus petits détails, des perruques qu’on ôte pour dévoiler une teinture de cheveux, ou un style plus proche de soit, on se montre sous un visage désarmant et intime dans Caught by tides. Jia Zhangke se revisite en l’espace de moins de deux heures, et une nouvelle fois, démontre pourquoi il demeure la figure totémique de tout un cinéma d’auteur chinois qui, dans son sillage, ne cesse de nous surprendre et de s’emparer de toutes les vertus du cinéma pour raconter le monde.


De Jia Zhangke, avec Zhao Tao, Zhubin Li et You Zhou.


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