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JOURNAL INTIME DU LIBAN

Maudits sur trois générations ! Dans un pays pris en otage, trois habitants de Beyrouth tentent de survivre : Georges, vétéran hanté par le passé, Joumana, militante candidate à la députation, et Perla Joe, artiste engagée. Un récit intime et brûlant d’un pays en perpétuelle quête de liberté.

Critique du film

Liban, le pays oublié, dont les incessantes convulsions depuis 50 ans, ont fini par être rejetées de l’actualité, accaparée ailleurs. Entre 2018 et 2021, Myriam el Hajj a filmé une révolution, un traumatisme et trois générations dont les trajectoires semblent à la fois parallèles et intriquées. Georges, Joumana, Perla, trois personnages pour ouvrir le récit d’un pays enfermés entre trois murs : la mer à l’Est, la Syrie à l’Ouest et au Nord et Israël-La Palestine au Sud. La cinéaste elle-même constitue un quatrième personnage, distillant des réflexions personnelles et des éléments biographiques tout en restant à la lisière de son film. Une position intermédiaire, finalement assez maladroite.

C’est dans un paysage de brume que commence le film de manière symbolique. Filmer pour y voir plus clair, tenter de dissiper les malentendus et comprendre quel mauvais œil a plongé le pays dans un chaos sans fin. Alors que Joumana et Perla sont, chacune à leur manière, dans l’action politique, candidate aux élections législatives pour la première, une des principales voix de la contestation révolutionnaire pour la seconde, Georges observe cette agitation avec scepticisme et amertume. On apprendra que l’homme qui se rend tous les matins chez le barbier pour entretenir sa coquetterie fut une figure majeure des phalangistes libanais. Aujourd’hui amputé d’une jambe, il lui reste un surnom, « l’homme de la nuit » et une immense frustration. Toujours bravache, il prétend détenir des dossiers explosifs sur des gens hauts placés mais le moment n’est pas encore venu de les divulguer.

Journal intime du Liban

Sortir du silence, c’est précisément ce qu’a décidé de faire une génération spontanée de jeunes qui refuse de se laisser embrigader dans les éternelles guerres religieuses qui profitent aux quelques familles indéboulonnables et corrompues. Perla est un des visages de cette jeunesse insubordonnée. La présence de la caméra lui sert de protection face aux forces de l’ordre. Sa colère est joyeuse mais ce mouvement se heurtera à l’indifférence du pouvoir puis sera étouffé dans les restrictions imposées par la pandémie de Covid 19. Joumana Haddad est sans doute le personnage le plus proche de la réalisatrice. Ancienne journaliste, on la découvre en pleine campagne électorale. Élue à la députation, elle voit sa victoire annulée pour d’obscures raisons qui en disent long sur le niveau de fraude électorale qui accompagne la corruption endémique. Elle raconte comment toutes ses économies se sont volatilisées dans la dévaluation de la livre libanaise. Elle aussi, malgré une énergie débordante, finit par vaciller et douter de voir un jour les forces s’inverser : « On est des morts et on crie dans un cimetière, personne n’entend ».

Survient alors le choc produit par l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020. Des centaines de tonnes de nitrate d’ammonium partent en fumée pour un bilan atroce : 235 morts et des milliers de blessés. Au chagrin et à la fureur se mêle un autre sentiment sur lequel se referme, impuissant, le film : la malédiction. « Maudit soit celui qui a maudit ma terre » chante Perla depuis sa terrasse entre deux coupures d’électricité.

En filmant trois générations, Myriam el Hajj tente de recoller les morceaux d’un pays que tout (la situation géopolitique, la corruption d’une caste au pouvoir depuis 40 ans, la crise économique) semble vouer à la répétition de l’échec. Percuté par l’actualité, Journal intime du Liban parvient tout de même à capter, entre les silences et les cris, l’extraordinaire et déchirant besoin de consolation de son peuple.

Bande-annonce

15 octobre 2025 – De Myriam El Hajj