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MADS MIKKELSEN | Entretien

À quelques jours de la sortie de Arctic de Joe Penna, présenté en mai dernier au festival de Cannes, l’acteur Mads Mikkelsen était de passage à Paris pour la promotion de ce survival intimiste. Hasard de la météo, c’est en plein épisode neigeux que le comédien s’est livré, durant une vingtaine de minutes, en toute décontraction et une bonne humeur non feinte… Il sera question d’humanité et d’émotions, de films politiques et des raisons qui le poussent à accepter ou refuser un rôle, de Netflix et de l’industrie du cinéma, de la radicalité de Nicolas Winding Refn et Lars Von Trier, de ses compatriotes Thomas Vinterberg et Tobias Lindholm avec qui il a collaboré…



Est-ce que c’est la dimension humaine du récit de Arctic qui vous a attiré en dépit de la difficulté qu’allait représenter le tournage du film ?

Mads Mikkelsen : C’est toujours une bonne chose, que l’humanité soit au coeur d’un film. L’histoire était très belle à mes yeux, pure et déchirante. Quand on est livré à soi-même, c’est la présence de l’autre qui maintient l’humanité. J’ai beaucoup aimé ce choix radical qu’a fait Joe Penna : on ne sait absolument rien de son passé. Pour moi, le scénario évitait tous les écueils du survival : on n’a aucun flashback, il n’y a pas d’histoire d’amour naissante… On parvenait à ne pas tomber dans ces pièges là. J’ai donc accepté sur ces éléments là. Bien sûr, quand je suis arrivé en Islande, que j’ai vu la neige partout et la température qu’il y faisait, je me suis dit « oui, c’est un survival, ce serait éprouvant !« . (Rires)

Une fois de plus, votre personnage reste assez silencieux. À quel point vous sentez-vous à l’aise avec ces personnages mutiques ? Aviez-vous des références (de films, de rôles) en tête avant de tourner Arctic ?

M. M. : Je suis plutôt à l’aise avec les scènes non-verbales… Quand l’homme que je joue est en train de pêcher, qu’il y ait des dialogues ou pas, la scène serait exactement la même. Je n’aurais pas joué différemment ces scènes. Cela fait partie de notre job d’acteur. Je suis très admiratif du travail de Buster Keaton, il a prouvé que l’on pouvait faire dire beaucoup avec les images et en se passant des mots.

Je n’avais pas spécialement de références de films à l’esprit mais je savais où je voulais que le film aille. Je savais qu’éventuellement il aurait un autre protagoniste dans le film et que ce petit miracle dans son monde en deviendrait un énorme. Cela lui donne une raison supplémentaire de se battre et de prendre des risques pour survivre.

Est-ce votre expérience de danseur vous a aidé à jouer ce personnage, au niveau corporel notamment ? 

M. M. : Je ne suis pas sûr que cela m’ait aidé. Il y a beaucoup de discipline dans la danse. Il faut être très rigoureux. Je ne veux pas me mettre à dos la profession mais un danseur ne peut se permettre d’arriver vingt minutes en retard et d’amener du café pour se faire pardonner… Ils sont toujours prêts, déterminés. Peut-être que la ténacité de mon expérience de danseur m’a permis de tenir le coup, jour après jour, quand il fallait aller tourner dans le froid et que cela devenait de plus en plus dur.

Mads Mikkelsen et Joe Penna

Mads Mikkelsen et Joe Penna sur le tournage de Arctic

Avez-vous des difficultés à sortir de vos rôles, à quitter vos personnages après des tournages comme celui d’Arctic par exemple ?

M. M. : Non, pas vraiment. Je n’ai pas besoin de rester dans mon personnage lorsque je ne tourne pas. Je sais que certains comédiens ont besoin qu’on joue le jeu, réclament que leur entourage les appelle par le nom de leur personnage… Je ne vois pas l’intérêt, je trouve cela prétentieux et vain. Comme tout le monde, je peux ramener quelques soucis professionnels à la maison, avoir de mauvaises journées, devoir dépasser certains éléments émotionnels qui m’accompagnent un peu quelques jours après… Mais c’est le lot de tout le monde. J’ai besoin de laisser le personnage de côté, d’être professionnel et d’envisager chaque jour en échangeant avec le réalisateur, entre adultes lucides. C’est mon approche et ma vision des choses. Sur Arctic, j’ai particulièrement souffert car ce fut le tournage le plus difficile de ma vie mais cela s’arrête là, je n’ai pas changé ma façon de faire.

Si tu fais un film, intéresse-toi à la complexité de l’humain, ne m’assène pas que cette personne est bonne, cette personne est mauvaise.

Vous avez été jury au festival de Cannes en 2016… Où il fallait juger des films. Du coup, on aimerait savoir : quel type de spectateur de cinéma êtes-vous ?

M. M. : Et oui, j’ai eu cette casquette ! (Il cite un dicton étranger où il est question de capitaine…).Quand je regarde un film, je fais en sorte de le voir comme un spectateur et pas comme quelqu’un qui fait du cinéma. Je suis le genre de spectateur qui a besoin de monter à bord du train et d’embarquer pour le voyage. S’il ne m’emporte pas avec lui, comme n’importe qui, j’aurais du mal à rester dans le film. Si je plonge dans le film, je ne vois plus ses défauts. Si je n’entre pas dedans, je vois toutes les erreurs qui ont pu être commises, comme les critiques de cinéma peuvent le faire. D’ailleurs, cela peut être déchirant de lire certains reproches faits aux films que l’on fait. On peut être révolté de certaines remarques car on a parfois le sentiment que l’essentiel est ailleurs.

Est-ce également de cette façon que vous choisissez vos rôles ? Il faut que le scénario vous captive pour que vous acceptiez ? 

M. M. : Je vois ce que vous voulez dire… Le « page-turner ». Je ne peux pas complètement avoir cette approche. L’acteur reprend le dessus. Et puis il y a certains scénarios qui m’agacent rapidement. Je deviens vite réfractaire à un scénario lorsque je sens qu’il y a une visée politique derrière et qu’à chaque page que je lis cela devient de plus en plus évident qu’il s’agit là d’un « film politique ». Et que ce sera l’identité du film. Cela ne m’intéresse pas !  » Écris un p*tain de poème ! « . Si tu fais un film, intéresse-toi à la complexité de l’humain, ne m’assène pas que « cette personne est bonne, cette personne est mauvaise« . Je peux vite perdre patience face à ce genre de scénarios et malheureusement il y en a trop qui tombent dans ce piège… Ce n’est pas digne d’en faire un film si on ne place pas l’humain au centre. Si l’on veut faire de la politique, on écrit une tribune journalistique, on rejoint un parti politique.

On peut très bien ancrer une opinion ou un angle politique à un film mais cela ne doit pas coller à tous les personnages. Alors c’est juste un auteur qui s’exprime dans la bouche de ses personnages… Le personnage doit rester un être humain ! Ils ne peuvent pas s’exprimer pour l’auteur derrière sa plume. Dans ces cas, cela ne vaut pas la peine pour moi.

Je préfère lire un scénario où je ne comprends pas trop pourquoi un personnage m’a ému, sans forcément à définir pourquoi, au point que j’ai besoin de relire le scénario. Dans ce cas, c’est bon signe, cela devient intéressant.

Votre filmographie est riche de nombreux genres et de rôles diversifiés… Reste-t-il des genres que vous aimeriez explorer, des types de rôles que vous aimeriez avoir et dont l’opportunité ne s’est pas encore présentée ? 

M. M. : Je n’ai pas mon Hamlet personnel… Ce qui se présente à moi et qui me plait devient alors mon « job de rêve ». Tout ce que je fais n’est pas une étape que je franchis, une case que je coche. Il est vrai que je n’ai pas trop tourné de films d’horreur jusqu’à présent, j’aimerais beaucoup en faire ! Je m’imagine bien en zombie, débarrassé de toute humanité.

Vous avez également tourné Polar, sorti sur Netflix il y a quelques jours. Quelle est votre position par rapport à Netflix ?

M. M. : Je sais que le sujet en crispe certains… Je n’ai pas d’avis acharné là-dessus. Dans les années 90, les gens se procuraient des caméras, commençaient à tourner des films sauvagement. Cela a permis à de nombreux réalisateurs de s’essayer au cinéma et a amené de la créativité. Netflix change juste l’échelle. Je ne vois pas de combat, il faut construire un pont dans l’industrie car au final l’objectif reste le même : raconter une histoire qui intéresse avec des images en mouvement.

Pensez-vous que cela permet à certains films d’exister et de toucher une audience plus large que s’il arpentait un cheminement « plus classique » ?

M. M. : Il faut se faire à l’idée que certaines personnes ne vont jamais au cinéma, préfèrent rester chez eux. Si certains films qu’ils n’iraient pas voir peuvent les atteindre, c’est encore mieux. Et s’ils peuvent les encourager à pousser la porte d’entrée et sortir de chez eux pour réellement profiter de la vie… Je sais qu’il y a une polémique autour de la sélection des films Netflix dans les festivals. Oui, un film sur un grand écran de cinéma, c’est idéal. Mais de nos jours, certains ont des écrans immenses chez eux. Le cinéma ne mourra jamais, les gens auront toujours envie de tourner des films et d’en voir. Netflix permet d’atteindre un public plus large.

Vous parlez de festival, la transition semble toute trouvée pour vous parler de vos collaborations avec Nicolas Winding Refn, avec qui vous êtes allé pour la 1ère fois à Cannes (avec Bleeder) et avec qui vous avez tourné quatre fois au final… Qu’avez-vous appris l’un de l’autre, à mesure que votre carrière avançait ?

M. M. : Nicolas est un homme radical. Il faut que cela fonctionne comme il le souhaite. Cela ne veut pas dire qu’il n’écoute pas les autres, bien au contraire. Il écoute énormément ses acteurs. Il cherche toujours un moyen de rendre ses films plus intenses, plus jouissifs, plus émouvants. Mais c’est vrai qu’il n’aime pas avoir une quinzaine de supérieurs qui lui disent quoi faire. C’est quelque chose d’important quand on réalise des films. Si Lars Von Trier écoutait chaque interlocuteur lorsqu’il tourne, il ne ferait plus rien. Il est vrai que parfois, on peut se rater. Mais lorsque l’on réussit, c’est encore plus fort. Si l’on tient compte de toutes les opinions, on finit par faire un film consensuel, qui ne satisfait finalement pas grand monde. Ils sont très inspirants tous les deux, ils font leurs propres films et restent fidèles à leur vision.

Si Martin Scorsese a besoin d’un mec danois, je suis son homme !

Parvient-ils à l’imposer même lorsque les enjeux financiers sont plus importants ? 

M. M. : Bien sûr ! Il a l’ouverture d’esprit d’écouter ceux qui le produisent mais aussi le caractère pour leur répondre que s’ils lui ont fait confiance parce qu’ils aimaient sa vision des choses, qu’il fallait aller au bout du processus de confiance…

Il y a eu l’âge d’or du Dogme, mais cette dernière décennie on constate une formidable dynamique du côté du cinéma nordique et quelques réalisateurs incontournables (A. T. Jensen, J. Trier, T. Lindholm…), quels sont ceux avec qui vous aimeriez particulièrement tourner ? 

M. M. : Je connais très bien Tobias Lindholm, il avait signé le scénario de La chasse. J’aime beaucoup son travail, il a beaucoup de talent. Je sais qu’il aime s’entourer des mêmes personnes, avoir sa « zone de confort », comme beaucoup d’auteurs. J’espère que l’occasion se présentera pour que l’on travaille ensemble…

Mais si vous voulez vraiment savoir avec qui j’aimerais travailler un jour, je vous répondrais Martin Scorsese. C’est incontestable, il a fait tant de grands films. S’il a besoin d’un « mec danois » pour un de ses prochains films, je suis son homme !

On ne pouvait pas ne pas vous interroger au sujet de votre nouvelle collaboration avec Thomas Vinterberg (après La chasse). Le projet est-il toujours d’actualité ? Pouvez-vous nous en dire plus ?

M. M. : Je ne peux pas vous en dire grand chose mais je peux vous confirmer que nous allons le tourner au printemps. C’est un film de troupe et il sera question d’alcool…

Thomas Vinterberg nous avait parlé de ce sujet lors d’une précédente interview… Cette idée ne l’a pas quitté !

M. M. : Oui, il avait envie de parler de ce sujet. Ce sera différent de La communauté… Mais cela tournera autour d’une bande de copains qui veulent découvrir s’ils sont meilleurs dans leur travail en buvant beaucoup d’alcool… (Rires) Peut-être que oui, vous verrez…

Propos recueillis, traduis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir



Journalistes présents : Victorien Daoût (Culture aux trousses) et Enlil Albanna (Skript)



Le Bleu du Miroir vous offre vos places de cinéma pour voir Arctic.




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