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SHE SAID

Deux journalistes du New York Times, Megan Twohey et Jodi Kantor, ont de concert mis en lumière un des scandales les plus importants de leur génération. À l’origine du mouvement #Metoo leur investigation a brisé des décennies de silence autour du problème des agressions sexuelles dans le milieu du cinéma hollywoodien, changeant à jamais la société américaine et le monde de la culture.

Critique du film

Cinq ans plus tard, Hollywood s’empare du sujet et entreprend de raconter les dessous de l’enquête journalistique initiée par Jodi Kantor et Megan Twohey, qui aura conduit à faire tomber l’une des personnalités les plus puissantes de l’industrie cinématographique. She Said se veut alors autant le témoignage d’un événement majeur dans l’histoire récente du féminisme, qu’un thriller d’investigation aux accents paranoïaques. Une double ambition qui lorgne clairement du côté des Hommes du Président, œuvre qui demeure encore aujourd’hui le maître étalon en la matière.

Hollywood Papers

Il est d’ailleurs intéressant de noter le dialogue opéré par le prologue de She Said avec le classique d’Alan J. Pakula : on y suit la journaliste Jodi Kantor, s’apprêtant à publier le témoignage de plusieurs femmes ayant été agressées sexuellement par le candidat à la présidentielle alors en pleine campagne : Donald Trump. Le scandale pourrait marquer un tournant majeur dans l’élection de 2016 ; pourtant il n’en sera rien. Malgré une couverture médiatique importante, les accusations contre Trump n’auront pas raisonné suffisamment fort auprès l’opinion publique ; sans parler de l’absence totale de répercussions au niveau politique. Là où Les Hommes du Président se concluait sur une victoire du journalisme d’investigation où la vérité finissait par infuser dans la conscience collective, She Said s’ouvre sur l’échec du ‘’quatrième pouvoir’’ à mettre en lumière une autre vérité : celle des violences faites aux femmes. Le constat est glaçant.

She said
Pendant deux heures, She Said captive par son rythme soutenu et sa reconstitution extrêmement documentée de l’enquête qu’il adapte. Aucun nom n’est modifié sur l’autel de la fiction (qu’il s’agisse d’actrices célèbres ou de femmes ayant travaillé dans avec le producteur), Ashley Judd acceptant même de rejouer ses échanges avec le New York Times. Le film de Maria Schrader est avant tout un hommage à la ténacité et au courages de toutes ces femmes réduites au silence qui ont un jour pris le risque de rendre publique leur douloureuse expérience pour tenter de faire bouger les choses. La réalisatrice met donc un point d’honneur à rendre compte de la dignité de ces femmes, se refusant à tout sensationnalisme ou dramatisation à outrance dans sa mise en scène. Les témoignages font donc l’objet de plans souvent fixes ou de champs/contre-champs dépouillés, où le spectateur est d’abord invité à écouter la parole des victimes ; rendant ainsi (un peu) à ces femmes ce qui leur fut refusé toutes ces années, à grand coups d’arrangements financiers.

Une affaire de femme(s)

Le regard féminin et féministe du long-métrage se ressent également dans le traitement réservé aux autres héroïnes de cette histoire : Jodi Kantor et Megan Twohey. Sans emphase mais avec une réelle détermination, la cinéaste met en scène deux femmes journalistes qui n’ont jamais à choisir entre leur activité professionnelle et leur rôle de mère. C’est une problématique trop souvent exploitée comme enjeu principal au cœur de la caractérisation de ce type de personnage. En cela, le film participe à un mouvement de représentation salutaire de la femme au cinéma. Un regard moderne auquel la sororité naturelle du duo Carey Mulligan / Zoe Kazan participe amplement.

On pourra sans doute reprocher au film une forme un brin classique, calquée sur des œuvres à l’identité formelle plus affirmée, à commencer par le récent Pentagon Papers de Steven Spielberg. Néanmoins, Maria Schrader ne manque pas d’idées visuelles, aussi discrètes soient-elles, pour donner corps à son intrigue. Aussi, la réalisatrice illustre très justement l’emprise quasi omnisciente d’Harvey Weinstein sur l’ensemble des personnages féminins. Que ce soit lors de scènes nocturnes, où la caméra suit de loin Megan Twohey à la manière d’une filature ou de par l’utilisation constante de la couleur rouge, toujours à deux doigts d’engloutir les personnages, la menace demeure omniprésente. Jusqu’à être finalement confrontée pour être littéralement évacuée du cadre !

Convaincue de la force évidente de son sujet, Maria Schrader fait le choix d’une réalisation discrète qui s’efface volontairement pour mieux mettre en exergue le courage et la résilience de ses protagonistes. She said gagne alors en charge politique ce qu’il perd en terme de pur cinéma. Et à l’heure où s’ouvre le second procès Weinstein, il n’est jamais inutile de rappeler au spectateur qu’au-delà des agissements d’un homme, c’est tout un système toxique et profondément sexiste qu’il reste à déconstruire.

Bande-annonce

23 novembre 2022 – De Maria Schrader, avec Carey Mulligan, Zoe Kazan et Patricia Clarkson.




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