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LES OISEAUX DE PASSAGE

La fiche
Les oiseaux de passage affiche

Réalisé par Ciro Guerra et Cristina Gallego Avec José Acosta, Natalia Reyes
Colombie  Drame, thriller – Sortie : 10 avril 2019 – Durée : 121 min

Synopsis : Dans les années 1970, en Colombie, une famille d’indigènes Wayuu se retrouve au cœur de la vente florissante de marijuana à la jeunesse américaine. Quand l’honneur des familles tente de résister à l’avidité des hommes, la guerre des clans devient inévitable et met en péril leurs vies, leur culture et leurs traditions ancestrales. C’est la naissance des cartels de la drogue.
 

La critique du film

Ciro Guerra et Cristina Gallago représentent à eux deux une des incarnations récentes les plus vivaces du renouveau du cinéma colombien. Si le cinéma argentin a réussi à se faire une petite place dans l’exploitation des films en salle, depuis une quinzaine d’années, notamment à travers le visage médiatisé de Ricardo Darin, celle dévolue au reste de la population hispanophone du continent est plus dérisoire. Porté par le succès de L’étreinte du serpent en 2015 et sa sublime photographie en noir et blanc, ce duo compte déjà quatre long-métrages à son crédit depuis L’ombre de Bogota en 2008, tous distribués en France. L’atout majeur de ces films est sa profonde identité colombienne, et le style très personnel développé par ces anciens étudiants en cinéma. C’est ce qui rattache Les oiseaux de passage à ses prédécesseurs, une volonté de raconter une histoire, non pour la première fois, mais au cœur même de la communauté qui abrite le film, impulsé directement par ses membres.

Les auteurs nous font découvrir les Wayuu, infusant leur film de vertus documentaires, présentant leurs coutumes, leur langue, leurs rites. Du passage à l’âge adulte jusqu’à la mort, mais aussi par les naissances, le mariage ou les tabous, rarement un film de fiction nous aura autant renseignés sur un groupe humain aussi particulier et replié sur lui-même que Les oiseaux de passage. Mais ses qualités ne s’arrêtent pas en si bon chemin, Guerra et Gallago ayant à cœur de brouiller les pistes et de parler avec une voix qui leur est propre. Si l’on commence par suivre le personnage de Rapayet, ambitieux wayuu qui bâtit son empire familial sur la vente de drogue à des « étrangers » (les gringos), la polarité de l’histoire le quittera si tôt que le pouvoir aura fui ses mains pour aller vers celle de sa belle-mère, femme forte et dirigiste qui par son obstination conduit tout leur clan à l’anéantissement.

Le caractère fortement sud-américain du film, et plus particulièrement wayuu, se reflète dans la façon dont la narration cultive son propre langage, ne cédant pas aux sirènes d’une mise en scène par trop internationale et désincarnée. Guerra et Gallago utilisent des ressorts différents : la vengeance, la guerre, sont des concepts différents pour les wayuus. Le film répète régulièrement les règles qu’il faut suivre, mais aussi les conséquences si on déroge à celle-ci, entraînant la condamnation explicite de toute la communauté, qui se retourne alors contre le fautif. Toute action entre dans une économie de don et de contre don, mais aussi de réciprocité. Il faut qu’il y ait une compensation à chaque acte délictueux commis. Ainsi quand Léonidas humilie la fille d’Anibal, rival de Rapoyet, bien que son allié, il doit travailler gratuitement deux semaines pour se racheter. Ce sont tous ces petits détails qui rendent Les oiseaux de passage passionnant.

Une œuvre passionnante et ambitieuse

Mais au-delà de ses différences avec l’occident, cela demeure une histoire de famille classique, de jeux d’alliances, de troubles intestins et le chapitrage du film débouche sur la guerre et la destruction. Cet épisode troublé de l’histoire du peuple wayuu, connu pour être le seul de cette partie du monde à ne pas avoir plié devant l’envahisseur espagnol, intrigue également par son mysticisme. On est initié aux rites religieux de ces amérindiens et à leur croyance dans la prémonition issue des rêves. Ce récit onirique se fait dans la sécheresse, à l’image de la géographie des lieux habités au nord de la Colombie par ces autochtones. Les auteurs ne succombent ni au lyrisme, ni aux effets surlignés, ils se contentent de montrer avec délicatesse, de dénoncer par le verbe des vérités toutes simples. Cette sagesse tranche avec la folie qui semble s’être infiltrée au sein des deux familles principales de Rapoyet et d’Anibal. Le commerce des stupéfiants en est le vecteur, l’ambition en est la cause. Le palais de la famille est une matérialisation physique de cette idée, une abstraction absurde au milieu des plaines désertiques, comme une insulte aux grands espaces.

Les oiseaux de passage est une œuvre passionnante et ambitieuse, une vision propre aux wayuus d’une histoire finalement assez proche du Parrain de Mario Puzo et Francis Ford Coppola. Tout est soigné dans le film, l’écriture des personnages, les dialogues, la photographie, mais aussi la mise en scène plutôt sobre qui n’a pour but que de mettre en valeur les différents éléments déjà évoqués. Les auteurs, de film en film, n’ont de cesse que de parler de leur pays, sous tous ses aspects, avec originalité, vaillance, et beaucoup d’audace et d’ambition. Souhaitons leur un succès permettant la continuation de cette œuvre singulière d’ors et déjà fondamentale.



La bande-annonce




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