les colons

LES COLONS

Terre de Feu, République du Chili, 1901. Un territoire immense, fertile, que l’aristocratie blanche cherche à « civiliser ». Trois cavaliers sont engagés par un riche propriétaire terrien, José Menendez, pour déposséder les populations autochtones de leurs terres et ouvrir une route vers l’Atlantique. Sous les ordres du lieutenant MacLennan, un soldat britannique, et d’un mercenaire américain, le jeune métis chilien, Segundo, découvre le prix de la construction d’une jeune nation, celui du sang et du mensonge.

CRITIQUE DU FILM

Felipe Galvez a fait ses armes du coté de la Semaine de la Critique, notamment dans son atelier de jeunes talents Next Step, après avoir été sélectionné pour son court-métrage Rapace en 2018. Ce cinéaste chilien s’est fait remarquer par sa volonté de faire un cinéma engagé et militant, et, à l’instar de nombreux artistes de son pays le Chili, avec une fibre politique particulièrement pugnace. Son premier long-métrage est naturellement consacré à la naissance de l’Etat nation chilienne, dans une description très dure des conditions de colonisation de ce territoire gigantesque qui sillonne toute la Cordillère des Andes.

Le premier fait singulier de Les Colons est d’avoir choisi comme personnage principal un écossais, vétéran de l’armée britannique, et notamment de la terrible guerre des Boers qui se déroula à la fin du XIXème siècle en Afrique du Sud. Habillé de sa tenue de soldat de l’armée de sa Majesté, celui qui se fait appeler le lieutenant McLennan, sert un grand propriétaire terrien, le mystérieux José Menendez. Il est flanqué d’une sorte d’assistant, Segundo, métis taiseux qui subit toutes les remarques racistes possibles, réceptacle de la haine qui fut un des ciments de la colonisation sud-américaine. La forme du film questionne : dès les premiers instants, on semble installé dans un western spaghetti, à grand renfort de musique tambourinante et insert d’immenses caractères rouges sang présentant les personnages comme autant de chapitres du film.

L’aspect gigantesque de la nature renforce tout d’abord ce sentiment, le petit groupe sillonnant ces terres presque désertiques pour atteindre les confins du territoire de Menendez, entre Chili et Argentine, l’exploitation faisant fi des frontières et des nationalités. Mais par la suite, les convictions fléchissent, et on semble désormais plongé dans un autre type de narration, plus proche du cinéma de Lisandro Alonso (Jauja), avec un onirisme qui déteint sur l’atmosphère du film. Là encore, Felipe Galvez nous dessine une fausse piste, avec tout d’abord l’irruption d’un nouveau personnage, le colonel Martin, dont la folie contamine toute l’histoire pour une nouvelle fois présenter un visage différent de cette histoire.


Le final, qui opère un léger déplacement dans le temps, finit de nous convaincre que l’auteur se plaît à brouiller les pistes en multipliant les couches de fiction et les styles. Nous sommes désormais au cœur de l’Histoire, avec une vision presque documentaire de ce moment crucial pour le Chili et tout le continent. L’auteur, par toutes ces facettes, désire présenter la portée de la sauvagerie de cette conquête impitoyable fondée sur le génocide des peuples autochtones et sur un impérialisme économique où la propriété terrienne est la fondation même des inégalités qui mineront le pays. Ces belles intentions ne sont pas toujours heureuses dans le film, chaque moment décrit diffusant un déséquilibre global qui culmine dans la séquence introduisant le colonel Martin.

Pourquoi toujours traiter de la Terre de feu comme d’un lieu où résiderait la folie, qui se déchaine ici par le motif du viol, qui intervient de manière intempestive, avec le choix d’une frontalité qui dérange. Cela n’empêche pas Les Colons d’être une fresque fascinante et composite qui fait date dans cette cinématographie narrant la naissance des États nations en Amérique du Sud, sous un jour des plus négatifs. S’il est inégal, le film a dans son cœur une force d’évocation qui lui permet d’exister au-delà de ces quelques réserves.


De Felipe Gálvez, avec Sam Spruell, Alfredo Castro et Mariano Lliñas.


Cannes 2023Un Certain Regard




%d blogueurs aiment cette page :