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LE GANG KELLY

Le film suit le parcours de Ned Kelly, un jeune hors-la-loi australien d’origine irlandaise, qui décide de former un gang de « bushrangers » en 1867. Au-delà du simple banditisme, son action vise plus particulièrement à contester les autorités anglo-australiennes, leur racisme à l’égard de sa communauté, ainsi que leur responsabilité dans la déportation de nombreuses familles irlandaises en Tasmanie et en Australie au milieu du XIXe siècle.

Critique du film

Après le bide critique et commercial d’Assassin’s Creed (notamment en raison de son scénario abscons), Justin Kurzel retrouve sa terre natale (après Snowtown, son premier long-métrage, sorti en 2011) avec la « véritable » histoire de l’un des personnages les plus populaires de l’histoire australienne. Bien lui en a pris, tant Le Gang Kelly regorge d’idées, visuelles et narratives, qui témoignent d’une liberté artistique assez folle, source d’une réinvention permanente de sa propre forme, mais également de son personnage principal.

L’homme qu’il voudrait être

D’abord jeune et frêle blondinet, impuissant face à la violence (symbolique et physique) des figures masculines se déchaînant contre sa mère et lui, Ned Kelly se transforme petit à petit au travers d’une initiation à la violence, motivée (malgré lui) par un souci de construire sa propre histoire, voire sa propre légende. Une injonction à la domination, à la vengeance, d’autant plus glaçante qu’elle n’est pas passionnelle. C’est ce que nous percevons au travers du personnage joué par Russel Crowe (Harry Power, un nom de famille qui n’est pas anodin), un bushranger vieillissant pour qui le récit de son existence vaut éminemment plus que sa propre vie. Ainsi, pendant toute la première partie du film, Ned Kelly, du fait de son humanité, n’arrive pas à être « à la hauteur » de la violente histoire que son entourage (notamment sa mère) projette sur lui. Très souvent, on lui dit qu’il n’est pas « l’homme qu’il voudrait être ». En un sens, ces gens ont raison : il est bien plus que cela.

C’est justement cette inadéquation fondamentale avec la masculinité dominante (fascinante et désespérée chez Russel Crowe, ridicule chez Charlie Hunnam, ambiguë chez Nicholas Hoult, toxique dans tous les cas) qui permet à Ned de construire sa propre histoire. Ainsi, au-delà des évidentes questions raciales (au sens social-culturel du terme) que pose le film, c’est bien la question du rapport entre la masculinité et l’« Histoire » qui meut, selon moi, le récit. En sortant de la norme, Ned joue la carte d’une folie contestataire et violente, fil conducteur de son histoire et de celle du Kelly Gang.

Insaisissables

C’est ainsi que le film, dans sa seconde partie (la formation du gang), plonge clairement dans une esthétique punk (voire queer), aussi bien dans sa mise en scène que dans son propos. Presque tous affublés de robes, les jeunes hommes du Kelly Gang utilisent la redéfinition de leur genre comme un moyen de se rendre « insaisissables » auprès des autorités, jouant clairement la carte d’une « altérité » flamboyante et imprévisible. Ce basculement se retrouve jusque dans les scènes plus intimes, où l’on voit clairement la connexion tactile et passionnelle entre les membres du gang. Les corps partiellement dénudés, notamment celui de George MacKay (Ned Kelly), sont captés par l’image de telle sorte à ce que l’on arrive à la fois à ressentir leur énergie (et leur violence potentielle), mais également leur douceur, voire leur fragilité.

True story of the kelly gang
Cette tension ne relève pas de la dualité, mais bien d’une forme de complétude du personnage principal, objet de fascination pour tous les regards (masculins comme féminins). Dans le dernier tiers du film, Ned Kelly sait qui il est : blindé (parfois au sens littéral du terme) d’un élan vital révolté qui le mènera probablement à sa perte, le jeune homme n’est pourtant traversé par aucune forme de désespoir. Il est libre, car il a été maître de son histoire. 

Authenticité et énergie

À l’image de son personnage principal, Le Gang Kelly se permet de nombreuses fulgurances de mise en scène : c’est par exemple l’utilisation anachronique de musiques rock, les effets de rupture des cartons de transition, la caméra portée, les gros plans en courte focale, ou bien encore cet incroyable affrontement entre Ned, affublé d’une armure blindée, et des policiers filmés comme de blanchâtres anges de la mort. Ces partis-pris sont à l’images des « problèmes de syntaxes » que Ned assume dans ses écrits : peu importe la cohérence de la construction, ce qui compte, c’est l’authenticité et l’énergie du sujet.

En dépit de son étiquette de « film historique », Le Gang Kelly est un film profondément contemporain, dans sa forme et dans son contenu, que l’on peut appréhender sous de multiples angles. Justin Kurzel signe là un film punk remarquable, moderne et passionnant. À voir absolument



En vidéo le 2 décembre 2020 – Présenté en avant-première en clôture de L’étrange festival 2019




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