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ILLUSIONS PERDUES

Lucien est un jeune poète inconnu dans la France du XIXème siècle. Il a de grandes espérances et veut se forger un destin. Il quitte l’imprimerie familiale de sa province natale pour tenter sa chance à Paris, au bras de sa protectrice. Bientôt livré à lui-même dans la ville fabuleuse, le jeune homme va découvrir les coulisses d’un monde voué à la loi du profit et des faux-semblants. Une comédie humaine où tout s’achète et se vend, la littérature comme la presse, la politique comme les sentiments, les réputations comme les âmes. Il va aimer, il va souffrir, et survivre à ses illusions. 

Critique du film

Xavier Giannoli porte en lui cette adaptation depuis 30 ans. Il a attendu d’avoir les moyens de transposer le roman de Balzac à l’écran selon ses désirs et ses exigences. Grand spectacle et casting cinq étoiles (certaines plus brillantes que d’autres) sont au programme. Le chemin du succès populaire est tout tracé. Il est toutefois permis de trouver l’incessant mouvement par trop mécanique, de se sentir étouffer sous le vernis de la reconstitution et de regretter de voir clignoter un peu fort le discours du vice contre la vertu.

Il faudrait, pour être dans le ton du film, publier une première critique assassine suivie d’une seconde laudatrice. Il appartiendrait à l’auteur de savoir laquelle est sincère. Puisqu’il semblerait que Giannoli, bien mal dissimulé derrière son travail d’adaptation, nous parle autant d’aujourd’hui que d’hier, est-il possible de vraiment critiquer le film sans être soupçonné de chercher querelle à son meilleur ennemi ? La modestie d’une plume provinciale au service d’un média discret (mais néanmoins consciencieux) nous exonérant d’une telle ambition, voyons tout de même ce qu’il en est, observant les conseils que Lousteau prodigue à Lucien.

« Tu commenceras par trouver l’œuvre belle, et tu peux t’amuser à écrire alors ce que tu en penses. Le public se dira : ce critique est sans jalousie, il sera sans doute impartial. » 

Il semble que le film, à l’image de son protagoniste principal, marche sur deux jambes esthétiques, le goût du beau et le mouvement du monde dans lequel Lucien est emporté. La solide direction artistique compose une image cossue où lumière, costumes et décors rivalisent de pétulance. La crème du cinéma français se presse devant la caméra. Mentions particulières à Vincent Lacoste qui habille le cynisme d’une désinvolture jubilatoire et à Gérard Depardieu à qui Balzac ne peut rien cacher. Jean-François Stévenin, dans un de ses derniers rôles, prête à l’affreux Singali son chaloupé caractéristique, composition quasi muette qu’il habite d’une pantomime malicieuse. 

Giannoli filme le bouillonnement de la Restauration avec une rare élégance. Au tohu-bohu d’une salle de rédaction, répond la frénésie du Boulevard du crime. Dans la panique d’un protecteur tôt rentré, on virevolte, draps défaits et cheveux en bataille. Entrées de champs, travellings, montage, tout concorde à traduire l’empressement de Lucien à étreindre une carrière, la capitale et le corps pulpeux de Coralie.

Illusions perdues

Xavier Giannoli a trop questionné, dans ses films précédents, le mensonge et l’imposture pour ne pas puiser dans la trajectoire de Lucien de Rubempré une inspiration teintée de désenchantement. Le tourbillon ascensionnel du jeune poète porte en lui la gueule de bois que l’ivresse ne devance que par aveuglement.      

Le réalisateur situe sa fresque à mi chemin entre Milos Forman et Martin Scorsese. Illusions perdues possède la sauvage ironie d’Amadeus et les fulgurances lyriques de Casino, le film relie ces deux pôles par un sentiment tragique qui, de la compromission à la corruption, aura triomphé avant même que de poindre. 

« Tu prouveras que l’auteur y a substitué les événements aux sentiments. Le mouvement n’est pas la vie, le tableau n’est pas l’idée ! »

Qui ressortira essoré de ces 150 minutes d’une impétueuse sarabande aura gagné notre compassion. Même les machines à laver reprennent leur souffle au milieu d’un programme destiné à garder intact notre linge délicat. Giannoli semble cavaler, confondant respiration et temps mort. La présence de Jeanne Balibar nous rappelle cruellement au souvenir de Jacques Rivette dont les splendides adaptations balzaciennes, où la fièvre habitait les silences de La Belle noiseuse autant que les regard de Ne touchez pas la hache, scintillent en creux devant ces Illusions qui ont moins peur de se perdre que du vide. 

Il est à la fois paradoxal et désolant de constater que l’obsession du mouvement se traduit par une dialectique simpliste qui oppose échec et réussite. Le film épouse le point de vue de l’artiste, tremblant de tout son scénario devant les réactions du public, toujours binaires : l’indicible frisson face au hourvari des applaudissements ou l’humiliant tintamarre des huées. Après tout, Giannoli est un artiste et il a parfaitement le droit de mettre en avant les affres d’une corporation à laquelle il appartient. Mais alors pourquoi vouloir absolument faire résonner hier et aujourd’hui ? À travers de petits clins d’œil à l’époque, subtilement glissés dans le commentaire de la voix off (un banquier au gouvernement, le masque et la plume…), le réalisateur s’empare du discours de l’auteur, façon d’agiter passions contemporaines du vice contre la vertu (entendre la critique d’un côté, l’art de l’autre) et de surligner sa présence au centre de la question. On a vu procédé moins démagogique pour s’arroger les faveurs d’un public dont on flatte, au passage, l’indépendance d’esprit. 

Le sort du boomerang Rubempré étant scellé, reste en suspens une question fondamentale, Giannoli sert Balzac ou se sert-il chez Balzac ? Au moins les prospères adaptations littéraires de Claude Berri ne s’embarrassaient-elles pas d’autant d’ego. Pas plus qu’elles ne donnaient à voir de fulgurances visuelles, tel ce plan scorsesien en diable, où Lucien lévite au-dessus d’un banquet. Qui sème le vertige récolte le torticolis.

« Tout est bilatéral dans le domaine de la pensée. Les idées sont binaires. Janus est le mythe de la critique et le symbole du génie. Il n’y a que Dieu de triangulaire ! »

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