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DON JUAN

En 2022, Don Juan n’est plus l’homme qui séduit toutes les femmes, mais un homme obsédé par une seule femme : celle qui l’a abandonné…

Critique du film

Abandonné devant l’autel, Laurent est inconsolable. Incapable d’oublier Julie, cette femme qu’il aimait tant, il voit son visage sur chaque femme qu’il croise et tente d’oublier sa souffrance en leur faisant la cour, et parfois leur reprochant même de sourire et d’être heureuses, lui qui a le coeur en pleine perdition.

« Je ne suis là ni pour le juger, ni pour le défendre mais pour le faire vivre ».

Ces mots sortent de la bouche de Tahar Rahim, comme pour expliquer la démarche de Serge Bozon qui invite à reconsidérer notre vision du séducteur et appréhender le personnage de Don Juan en prenant en compte les femmes. Son obsession pour une seule femme devient l’occasion pour le cinéaste de raconter l’histoire d’un duo, avec deux comédiens délectables pour les incarner.

Laurent a besoin d’amour et tente d’imposer à ces femmes de passer une nuit avec lui et de lui faire oublier ce mal qui le ronge. Insistant au point d’en être inquiétant. Le premier tiers du film s’avère particulièrement déroutant. L’absurdité des situations et, avouons le, le grand désordre narratif de cette demi-heure chaotique n’aident pas vraiment à rendre l’errance de Laurent (le Don Juan 2022 donc) particulièrement intéressante. Après Madame Hyde, Serge Bozon persiste dans sa culture de l’absurde et étreint son désir de récit méta, en tentant d’actualiser cette figure littéraire très célèbre et en la doublant de quelques apartés sur la vocation de comédien.ne.

Certainement séduisante sur le papier, ce qui se joue à l’écran est loin de créer la magie et l’émotion escomptées. Comment avoir de l’empathie quand ce personnage principal suscite un tel rejet ? Comment cautionner son attitude envers la gent féminine lorsqu’il se comporte de manière si insistante – et déplacée – avec elle ? Et si, en 2022, Don Juan était un délinquant sexuel ? Voyeur et harceleur avant de recroiser le chemin de celle qu’il regrette ardemment, il ne semble pas s’embarrasser outre mesure du consentement de ses femmes qu’il prend par la main, fixe dans la rue, regarde avec convoitise et rejette sans ménagement lorsque son intérêt n’existe pas ou plus. Bien sûr, celles qu’il « courtise » le rejettent, mais la violence est déjà là et ne saurait suffire à qualifier cette variation sur le mythe de Don Juan de relecture féministe.

Don Juan Efira Rahim

« J’ai encore le droit d’être ridicule »

Entre les notes d’intention (l’envie de proposer, avec Axelle Ropert sa fidèle co-scénariste, une figure non-victorieuse de la séduction) et le résultat final, il semble y avoir un fossé que le spectateur se voit contraint de combler. Sur une intrigue d’une grande simplicité – une femme quitte un homme qui croit la voir ensuite partout, elle revient, ils se retrouvent et se donnent une seconde chance mais elle fit par le quitter à nouveau et définitivement -. Il revient alors au spectateur de redoubler d’efforts pour s’intéresser à cette théorisation assez auto-satisfaite autour de la question du doute dans le couple.

« Bien assez sotte pour me tromper moi-même »

Pourtant, avec le talent qu’on leur connait et qui ne souffle plus d’aucune contestation, Tahar Rahim et Virginie Efira insufflent toute leur conviction pour donner corps à cette histoire d’amour condamnée d’avance. Les apparitions d’Alain Chamfort offrent, elles, quelques jolis intermèdes mélancoliques, lui qui incarne un père endeuillé par le décès d’une fille abandonnée par Laurent, qui se sera blessée à en mourir dans sa persuasion qu’elle pourrait le changer et l’affranchir de ses pulsions séductrices.

Après un deuxième tiers plus consistant sur la confiance, où le film évoque cette subtilité ténue qui existe entre amour et fidélité, le long-métrage s’effondre à nouveau dans une absurdité éreintante dès lors que le personnage de Julie s’éclipse définitivement. Le spectateur, lui, a l’impression d’avoir assisté à un spectacle hybride et inqualifiable, sorte de tragédie amoureuse improbable qui tente ponctuellement des escapades musicales (peu convaincantes) pour ne finalement n’assumer aucune de ses étiquettes : ni le film de genre, ni le drame conjugal, ni la comédie musicale. Un non-film approximatif à peine sauvé par ses trois comédiens qui, à trop vouloir raconter l’incommunicabilité au sein de couple, éprouve toutes les peines du monde à communiquer avec son audience.

Bande-annonce

23 mai 2022De Serge Bozon, avec Tahar Rahim, Virginie Efira, Alain Chamfort


Cannes 2022Première