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BLOOD

Après la mort de son mari, une jeune femme se rend au Japon où elle trouve du réconfort auprès d’un vieil ami. S’offrera-t-elle le droit de retomber amoureuse ?

Critique du film

Bradley Rust Gray est un réalisateur discret, qui mène sa carrière sans bruit mais non sans talent depuis son premier long-métrage Salt, sorti en 2003. Entièrement tourné en Islande avec des acteurs locaux, il était le reflet de son amour pour l’île nordique où il conserve de nombreux amis, marque indélébile de son passage. Pour son nouveau film, Blood, c’est cette fois au Japon qu’il pose sa caméra, autre lieu où il vécut avec sa famille il y a quelques années. Le réalisateur américain avoue très simplement que ses films sont un moyen pour lui de revenir sur ces endroits où il a laissé quelque chose lui-même et qui l’ont profondément marqués. Au cœur de ce nouveau projet, primé cette année à Sundance, il y a la volonté de parler de ses rêves et de leur valeur curative quand il est question d’un deuil immense dans la vie d’une personne. À la racine du film on trouve l’actrice Michelle Williams, muse de Kelly Reichardt (notamment dans son dernier film Showing-up), avec qui Bradley Rust Gray avait écrit la première version du film. Le titre vient lui-même d’un rêve de Williams, clin d’oeil à ces prémisses abandonnés.

Après avoir essuyé plusieurs refus, notamment de Kristen Stewart, c’est vers Carla Juri (Blade Runner 2049), actrice suisse, qu’il se tourne pour incarner Chloe, jeune femme qui vient de perdre tragiquement l’homme de sa vie. Si le titre du film est issu d’un rêve d’actrice, toute l’histoire est également contenue dans cette idée, comme encapsulée dans le court instant où, à lisière de la conscience, les idées s’agglomèrent pour former une fantaisie parfois surprenante. Si Blood est un rêve, il est aussi l’idée d’une cure, un moyen de se soigner loin de chez soi. Chloe est une personne enthousiaste, souriante et gaie, mais comme le rappelle son ami Toshi, il ne faut pas se fier à ces apparences. Le masque resplendissant de gentillesse et d’amabilité de Chloe cache le chantier immense de sa reconstruction. Pour représenter cela, l’auteur convoque les souvenirs d’un heureux passé avec son mari, les instants fugaces et vaporeux qui apparaissent grâce à un mot, une phrase, qui font immédiatement penser à lui. Cette peine fulgurante qui traverse et terrasse, c’est aussi le propos de ce film gorgé de sensibilité et d’une grande bienveillance.

Blood
Pour réussir à capturer la beauté de ces scènes toutes simples, Rust Gray place sa caméra à distance de ses acteurs, permettant de la laisser tourner pendant de longues prises en espérant que jaillisse, tel un documentariste, un moment de grâce voire une surprise transportant le film vers quelque de plus grand que son scénario initial. En ce sens, peu de choses sont totalement écrites, l’auteur tenant à laisser un maximum de liberté à son casting ce qui permet de capturer une intimité réelle entre eux. C’est sans doute grâce à ce dispositif que le film réussit autant à developper la tendresse qui existe de façon criante entre chaque personnage, notamment entre Chloe, Toshi et sa petite fille. La délicatesse de leur relation, dont on ne sait jamais réellement si elle tient du rêve ou de véritables souvenirs, est représentée avec de petits détails, une tête reposant sur une épaule, des mains qui se frôlent, des sourires. Chaque petite scène est charmante à souhait, flottant telle une bulle de savon au-dessus de décors empruntés au quotidien de l’acteur Takashi Ueno, musicien reconnu au Japon, qui le temps du film montre sa maison, ses amis, jusqu’à ces restaurants et bars préférés.

Blood brille par cette nature hybride, empruntant au documentaire, à l’onirisme et à la fiction pure. Carla Juri s’y révèle troublante, magnifique dans son deuil et ses émotions contenues, qu’elle laisse enfin s’échapper par le biais de ces amis du bout du monde qui l’acceptent dans leur univers pour lui permettre de se retrouver. C’est avec cette douceur et cette langueur que Bradley Rust Gray réussit un bien joli film à la poésie convaincante et bouleversante. S’il reste un peu de place pour la beauté en ce monde, peut être trouvera-t-il son chemin jusqu’à la France et ses salles de cinéma. C’est un baume magnifique pour toutes ces douleurs qui laissent tant de cicatrices sur nos cœurs.


De Bradley Rust Gray, avec Carla Juri, Takashi Ueno et Sachiko Ohshima.


Festival de La Roche-sur-Yon




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