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Matteo Garrone | Entretien

Jeudi 25 juin, dans Paris, les chauffeurs de taxis en colère s’attaquent au grand méchant loup Uber qu’ils accusent de tous les maux. La colère s’attise, les esprits s’échauffent et les carrosseries s’enflamment. Matteo Garrone qui, au même moment, enchaîne les interviews dans un salon cossu de l’hôtel Raphaël n’a sans doute rien vu de tout ça. Mais ces scènes d’émeutes, leur violence spectaculaire et leurs acteurs zélés prêts à tous les excès l’auraient sans doute fasciné, lui qui, dans son dernier film, Tale of Tales, comme dans les précédents (Gomorra, Reality…), marie le réalisme cru aux artifices fantaistes, en mettant en scène la comédie humaine dans tous ses drames et son absurdité..

>>> Lire la critique du film Tale of Tales par ici…

Comment avez-vous eu connaissance du livre de Giambattista Basile, Le Conte des contes, et pour quelles raisons avez-vous choisi les trois contes que l’on voit dans le film ?

Matteo Garrone : J’ai découvert Le Conte des contes grâce à un ami peintre il y a quelques années. C’est un livre extraordinaire, c’était une grande chance de le porter à l’écran. Il est méconnu à l’étranger et aussi en Italie. Choisir trois histoires parmi la cinquante qui la compose a été très difficile. On a retenu trois histoires de femmes, d’âges différents et on a développé les personnages librement. Depuis longtemps, je voulais me frotter au genre du conte. Jusque là, dans mes films, j’étais toujours parti de la réalité pour aller vers une dimension fantastique. Cette fois, je voulais faire l’inverse : partir du fantastique pour créer une forme de réalité.

Avec Tale of Tales, on revient aux origines de ce qui a nourri l’heroic fantasy. Vouliez-vous redonner au folklore le respect qui lui est dû ?

M. G. : J’avais envie de faire un film, avec, disons, une forte composante de spectacle, avec une force visible des images. Je voulais mettre en scène des personnages plutôt inhabituels, même dans le genre du conte. Faire un film entrant dans un genre tout en conservant un regard personnel. C’est un film qui se mesure à un genre souvent développé aux Etats-Unis et en Angleterre, mais qui essaie de garder une identité italienne.

La couleur rouge est très importante dans le film. Pourquoi l’avez-vous choisie ?

M. G. : Le rouge est la couleur de l’épisode de Vincent Cassel, c’est une histoire riche en sensualité et en érotisme. Le noir est la couleur de l’histoire de Salma Hayek, celle des cours espagnoles. Pour l’histoire de Tobey Jones, on s’est porté vers des couleurs plus « anglo-saxonnes », comme le vert et le bleu. Et le rouge est peut être aussi lié au sang, car il y a une dimension sombre, de film d’horreur. Les contes de Basile datent du XVIIe siècle. Ils n’étaient pas faits pour divertir spécifiquement les enfants, mais bien le plus large public possible. A l’époque, c’étaient des récits d’une matrice populaire…

Je choisis mes projets en fonction de leur capacité à m’évoquer des images et des atmosphères.

Aimeriez-vous faire un film 100% horrifique ?

M. G. : Là, on est à 20% d’horreur (rires). Il y a aussi de l’horreur dans mes films précédents, comme L’Etrange monsieur Peppino. Je déteste ce titre ! [en italien, le film s’intitule L’Imbalsamatore (« L’Embaumeur »)]… Mais, oui, cela me plairait parce qu’avec ce genre, on peut travailler la force des images et des atmosphères. C’est un genre qui m’est proche car je viens de la peinture. Je choisis mes projets en fonction de leur capacité à m’évoquer des images, des atmosphères. L’un de mes réalisateurs de référence sur ce point est Mario Bava, qui s’est illustré dans le cinéma fantastique et horrifique dans les années 1960 et 1970. Il est extraordinaire pour sa vision et l’aspect artisanal de son travail. Ce sont deux choses qui me touchent beaucoup et dont je me sens très proche.

Vos films sont très différents les uns des autres. Diriez-vous que chaque nouveau film est pensé en réaction au précédent ?

M. G. : J’aime explorer de nouveaux genres mais, en même temps, il y a des liens entre mes films. Gomorra, est apparemment réaliste, traité avec un langage documentaire, or, en fait, il comporte aussi des éléments de fable noire. La scène d’ouverture, dans le solarium, a des accents de science-fiction, par exemple. Tale of tales a beaucoup de points communs avec Gomorra, et pas seulement dans sa structure. J’ai voulu faire sentir l’artifice du cinéma. Je voulais créer un monde crédible avec un côté fantastique. L’une de mes références, c’est Méliès. La scène sous l’eau ramène au cinéma muet.

Alexandre Desplat et moi sommes très amis. Il se met au service du film sans jamais laisser son ego prendre le dessus.

L’une des richesses du film est la musique d’Alexandre Desplat. Comment en êtes-vous venu à travailler avec lui ?

M. G. : Alexandre et moi sommes très amis. On avait l’habitude de se voir et de parler du film. On a commencé par discuter des points importants où mettre de la musique et il a commencé à jeter des idées sur le papier. On se rencontrait régulièrement pour voir si elles étaient bonnes. C’est un musicien qui a une grande capacité à se mettre au service du film et des personnages. Je n’ai jamais eu l’impression que son ego pouvait prendre le dessus. Cette musique est fondamentale car elle complète les états d’âme et accompagne les personnages comme une danse.

Le casting est-il celui de vos rêves ? Sa dimension internationale était-elle présente dès le début du projet ?

M. G. : J’ai été heureux de travailler avec une équipe internationale. On a choisi les acteurs, avec la directrice de casting, après l’écriture du scénario, en fonction de leur apparence physique et de leur talent. Salma Hayek me semblait crédible en reine espagnole du XVIIe siècle. Elle dégage à la fois une force de caractère et de la fragilité. Vincent Cassel a une grande facilité et le don de passer du registre dramatique au registre comique. Il a une présence extraordinaire. Cela a été amusant de travailler avec lui son personnage qui, par moments, se rapproche de la commedia dell’arte.

Propos recueillis, traduits et édités par Fabien Randanne pour Le Bleu du Miroir, le 25 Juin 2015 à Paris.
Table ronde réalisée avec plusieurs rédacteurs web et blogueurs dont (notamment) Nicolas Rieux et Emmanuelle Sal
Remerciements : Matteo Garrone, Way to blue, Le Pacte



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