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LE SAMOURAÏ

Jef Costello, dit le Samouraï est un tueur à gages. Alors qu’il sort du bureau où git le cadavre de Martey, sa dernière cible, il croise la pianiste du club, Valérie. En dépit d’un bon alibi, il est suspecté du meurtre par le commissaire chargé de l’enquête. Lorsqu’elle est interrogée par celui-ci, la pianiste feint ne pas le reconnaître. Relâché, Jeff cherche à comprendre la raison pour laquelle la jeune femme a agi de la sorte.

Critique du film

De 1961 à 1963, Jean-Pierre Melville avait réalisé trois films avec Jean-Paul Belmondo (Léon Morin, prêtre, Le Doulos et L’Aîné des Ferchaux, ce dernier marquant la rupture avec l’acteur principal, après de très violentes tensions). Une autre collaboration étroite et majeure avec un acteur important du paysage français de l’époque allait naître ensuite. Par deux fois, Melville avait soumis à Alain Delon un projet de film, la deuxième proposition étant le scénario qui donnerait plus tard L’Armée des ombres. Les deux scénarii avaient été l’objet d’un refus de la part de Delon, mais ce dernier demanda au réalisateur s’il n’avait pas un autre projet à lui présenter. Melville lui lut alors le début d’un scénario et Delon, emballé par l’absence presque totale de dialogues y vit un signe de similitudes entre leurs conceptions profondes, à la fois artistiques et philosophiques.

Le titre du film, qui allait donc marquer le début d’un périple de trois longs-métrages là-aussi incluant Le Cercle rouge et Un Flic, Le Samouraï renvoie bien sûr au Japon, au Bushido, le code d’honneur du samouraï. La célèbre « citation » du Bushido qui ouvre le long-métrage : « Il n’y a pas de de plus profonde solitude que celle du samouraï, si ce n’est celle du tigre dans la jungle, peut-être » n’est nullement tirée d’un texte japonais, mais tout simplement inventée par Jean-Pierre Melville lui-même. Citation créée de toute pièces, donc, mais fidèle à l’esprit du Bushido et révélatrice de l’esprit du film. 

On a ici une réalisation qui fait la part belle à l’épure, à l’abstraction. Il ne faut chercher nul réalisme. Certains esprits chagrins reprochèrent à cette histoire ses ellipses et ses incohérences. Ceci n’a pas véritablement d’importance aux yeux des amateurs de cette oeuvre qui, comme les autres films de Jean-Pierre Melville, n’a rien de réaliste. On est dans un pur univers cinématographique, reconstitution de toutes pièces de lieux et de décors qui n’existent pas, et surtout pas en France. Melville, quand il ne filmait pas dans la rue, recréait dans ses studios de la rue Jenner – dans le treizième arrondissement de Paris – des commissariats ou des clubs de jazz qui n’existaient pas et qui ne ressemblaient à rien de connu. D’où un monde totalement artificiel mais nullement superficiel. Melville ne recherche pas le réalisme, mais recycle un héritage du film noir américain pour créer sa propre mythologie cinématographique du film policier. La scène du tapissage, par exemple, est révélatrice. Ce type de procédure paraît totalement étrangère au monde judiciaire français et on y voit des suspects scrutés par des témoins qui doivent les reconnaître ou non, sans aucune mesure de protection ou de discrétion. 

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La scène d’ouverture, sans dialogues, est restée mythique. Jef Costello, Alain Delon, est allongé sur son lit, dans une chambre presque nue, chambre reconstituée en studio et qui ressemble à un décor de théâtre. Par de subtils mouvements de caméra, Melville provoque une forme de dilatation, de déformation qui provoque le malaise et restitue une forme d’étrangeté. Jef Costello va voler une voiture, de façon très calme et clinique, en utilisant un impressionnant trousseau de clés – qui est curieusement le même type d’outil que ceux utilisés par la police qui vient visiter son appartement en son absence – et lorsqu’il part dans le véhicule ne répond pas aux œillades d’une femme qui s’arrête en même temps que lui à un feu rouge. Costello est une mécanique, un animal froid auquel Alain Delon prêtait sa présence minérale, son autorité naturelle. Il incarnait alors le parfait héros melvillien. Héros qui accepte dignement et courageusement la solitude et le fatum. Ce stoïcisme renvoie à l’esprit du samouraï et le tueur semble n’exister que par sa fonction et ses valeurs. Il agit parfois comme une mécanique.

La fin que nous ne dévoilerons pas, et que certains jugèrent énigmatique ou incompréhensible, peut-être vue comme un seppuku, un dernier acte de courage et de fidélité à soi-même, mais aussi comme un koan, ces fameuses sentences de la philosophie bouddhiste zen qui défie la logique. Le film a énormément influencé des cinéastes, et non des moindres : John Woo, Jim Jarmusch, pour ne citer qu’eux. 

Le Samouraï bénéficie d’une exceptionnelle réussite plastique : la photographie d’Henri Decaë confère à cette histoire une aura mystérieuse, presqu’irréelle. La musique de François de Roubaix – c’est Alain Delon qui l’avait présenté à Jean-Pierre Melville – charrie des effluves d’étrangeté et de mélancolie poisseuse. Les décors minimalistes laissent toute la place pour que l’intérêt du spectateur se concentre sur l’essentiel. Il y a parfois une forme de fétichisme chez Jean-Pierre Melville ; elle est ici portée à son paroxysme. 


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Depuis le 29 novembre, on peut trouver ce film en Blu-Ray 4K Ultra Haute Définition dans un coffret incluant également le film en Blu-Ray et en DVD, le 33T de la BO composée par François de Roubaix, un livret et bien sûr de très nombreux suppléments sur la genèse du film mais aussi sa restauration.  La restauration 4K de 2022 orchestrée par Pathé et Criterion s’avère de toute beauté.

 




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