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WAKE UP DEAD MAN

Le détective Benoit Blanc collabore avec un jeune prêtre pour enquêter sur un crime totalement inexplicable perpétré dans l’église d’une petite ville au sombre passé.

Critique du film

Pour ce second (et dernier) volet produit par Netflix, Wake Up Dead Man marque les retrouvailles de Rian Johnson avec le détective Benoit Blanc et la franchise À couteaux tirés. Un troisième opus plus sombre, proposant une réflexion méta sur la place de la trilogie dans une société de plus en plus enfermée dans l’ultra-conservatisme.

On ne peut retirer à Rian Johnson son insatiable envie de conscientiser ce qu’il raconte. Les clichés du film noir ? Il les implante dans un lycée des années 2000 avec Brick. La mythologie Star Wars ? Il en brûle les fondations avec Les Derniers Jedi. Avec À couteaux tirés, il entreprend la modernisation du whodunit. En s’opposant au classicisme d’époque perpétué par Kenneth Branagh et ses Hercule Poirot, il repopularise le genre en en déconstruisant les codes — tout en conservant un angle récurrent : la satire de l’entre-soi bourgeois.

Chez Johnson, la nouveauté provient surtout de la contemporanéité avec laquelle il travaille le genre. Depuis le premier volet, sorti en 2019, la bourgeoisie conservatrice est constamment évoquée sous différents aspects : d’abord à travers un empire familial, puis, dans le second opus, via le monde de la technologie, évoquant aussi bien Mark Zuckerberg qu’Elon Musk. Ces satires, portées par des avalanches de punchlines, ont rencontré un succès immédiat auprès du public.

Wake up dead man

Mais aujourd’hui, alors que nous nous apprêtons à entrer en 2026, Donald Trump entame son second mandat, et jamais l’extrême droite n’a été aussi solidement installée aux États-Unis comme ailleurs dans le monde. Est-il encore raisonnable d’imaginer qu’un enquêteur extravagant réduisant en pièces les représentants de ce néo-fascisme constitue une réponse réellement subversive aux problématiques sociétales ? Johnson, fidèle à son rôle d’artiste consciencieux, puise dans cette interrogation la matière d’un troisième volet étonnant, qui pourrait même s’interpréter comme une conclusion.

Il est d’abord intéressant de noter que l’enquêteur-star incarné par Daniel Craig n’occupe ici qu’une place secondaire. Celui qui incarnait jusque-là le ton incisif et rationnel de la saga laisse de l’espace à une voix plus optimiste : le père Jud (Josh O’Connor), ex-boxeur devenu prêtre au passé tourmenté, animé par une seule volonté : ne plus porter les coups, mais ouvrir les bras aux autres. C’est essentiellement par sa voix que se déploie ce nouveau récit, situé dans une église isolée où plusieurs fidèles suivent un prêtre ultra-conservateur incarné par Josh Brolin.

Wake up dead man

Au départ, on pourrait craindre que Johnson récidive dans ses travers et canalise une nouvelle fois sa colère sociale — pourtant légitime — à travers de simples punchlines unidimensionnelles. Mais, plus lucide, le cinéaste reconnaît que cette stratégie n’aurait plus aucun effet sur le monde qu’il cherche à égratigner. Rien ne va pour le mieux ; tout a, au contraire, davantage sombré. C’est précisément ce constat qui guide l’évolution du personnage d’O’Connor et oriente À couteaux tirés vers une trajectoire plus élégante, voire poignante. À l’image de cette scène, désormais abondamment citée sur les réseaux, où la recherche d’un indice par téléphone bascule en une seconde de la farce à une tragédie compatissante, dès lors que la question de la croyance est soudainement abordée.

Wake Up Dead Man s’impose ainsi comme le volet le plus sérieux de la trilogie : plus classieux, moins tape-à-l’œil dans sa mise en scène, il développe une réflexion méta stimulante sur les limites de la satire et interroge, dans un registre plus universel, la notion même de foi — sa place dans nos sociétés et la manière dont elle peut être instrumentalisée à des fins plus obscures, en se détournant de l’ouverture d’esprit qu’elle prétend incarner. Derrière une enquête toujours ludique (bien que parfois étirée), Johnson prend enfin le temps de développer une réflexion dense et émouvante, dans une atmosphère gothique flirtant par instants avec le morbide, aux frontières du fantastique.

Wake Up Dead Man s’impose comme le volet le plus dense de la trilogie. Moins cloisonné dans sa satire, plus abouti dans son observation des personnages, il surprend par sa tonalité et offre un divertissement de grande qualité.

Bande-annonce

12 décembre 2025 (Netflix) – De Rian Johnson