THIS MUCH I KNOW TO BE TRUE

THIS MUCH I KNOW TO BE TRUE

Tourné à Londres et Brighton, le nouveau long métrage documentaire d’Andrew Dominik explore la relation créative qui lie Nick Cave et Warren Ellis. Accompagnés de chanteurs et d’un quatuor à cordes, les deux musiciens donnent vie aux chansons de leurs deux œuvres les plus récentes : Ghosteen et Carnage, avant une tournée au Royaume-Uni au printemps 2021. 

CRITIQUE DU FILM

Nick Cave, vous aimez ? C’est presque un pré-requis en ce qui concerne ce deuxième film consacré au chanteur australien par le réalisateur du très attendu Blonde, Andrew Dominik. Car autant le premier – One more time with feeling (2016) – était un vrai film documentaire sur l’artiste, autant celui-ci convainc moins. Remontons le fil.

Au sein d’une carrière très riche et féconde, que ce soit avec les Bad Seeds, sous le nom de Grinderman, ou avec différents collaborateurs, Nick Cave et Warren Ellis ont commencé à composer ensemble de la musique de film à la demande de John Hillcoat pour The Proposition en 2005. Ce travail a mené à la rencontre avec le réalisateur australien Andrew Dominik et à l’écriture de la musique pour son film de 2007 L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford. Par la suite, les deux artistes ont écrit de nombreuses BO, jusqu’à la dernière en date, celle de La Panthère des neiges en 2021.

Faire le deuil

La tragédie frappe Cave en juillet 2015 (1). Alors qu’il est en plein enregistrement de son nouvel album Skeleton Tree avec les Bad Seeds, son fils Arthur décède de la chute d’une falaise à l’âge de 15 ans. Le chanteur va donc modifier les paroles de ses chansons et l’album sera entièrement dédié au disparu. Dans le même temps, pour éviter le harcèlement de la presse et des médias (2), Cave décide de faire appel à Dominik pour tourner un documentaire qui expliquera le contexte de l’enregistrement de l’album et ses thèmes. One more time with feeling montre donc le processus de création avec Warren Ellis et comment le traumatisme qu’a vécu le chanteur a endommagé sa créativité. Le tournage est douloureux, ce qui est normal, le chanteur étant encore en plein deuil. Avec le réalisateur, ils se mettent d’accord pour qu’il ait le droit d’enlever tout ce qui ne lui plaît pas. À la première vision du film, Cave a le sentiment que le film exploite son propre malheur, mais il finit par changer d’avis et estimer que c’est un « cadeau » fait à lui, sa femme et la mémoire de leur fils. Tour à tour émouvant et fascinant, One more time with feeling est rempli de déclarations de Cave prises sur le vif. Il s’interroge par exemple sur le fait que certaines paroles de ses chansons peuvent annoncer des événements tragiques.

Le film, tourné en 2D et 3D, noir et blanc et couleur, sort en salles et remporte un succès public et critique, de même que l’album Skeleton Tree, qui réalise le meilleur classement à ce jour de Nick Cave dans les charts US.

This much I know to be true

Reconversion

Six ans plus tard, Dominik et Cave se retrouvent pour This much I know to be true (3), dans lequel on découvre un chanteur reconverti provisoirement en céramiste à cause de la pandémie et de l’arrêt des tournées. Tourné principalement dans ce qui ressemble à une église désacralisée, le film voit surtout le chanteur interpréter des chansons de deux albums : Ghosteen (2019) avec les Bad Seeds, et Carnage (2021) avec Warren Ellis. Une grande salle a été aménagée avec des projecteurs et des rails de travelling, ce qui permet des effets de lumière intéressants. La musique est ici au centre du film, et fait appel principalement à des boucles, des synthétiseurs, des violons et la voix de trois chanteurs additionnels qui restent la plupart du temps dans l’ombre. Dominik se focalise sur Cave et son étonnant bras droit Warren Ellis, chanteur et musicien multi-instrumentiste. La symbiose créative des deux hommes marque le point fort du film, ainsi que l’évolution du chanteur qui a atteint une forme de sagesse, loin des excès d’antan. Les paroles abordent les thèmes de la mort, la perte, les rêves, Dieu… dans un style poétique dont on a parfois du mal à comprendre la signification.

L’expérience de ces deux films, qui a poussé Dominik à changer ses habitudes de tournage, a été marquante. Il le dit dans le magazine Cinemateaser : « Je crois que depuis ces deux docus, je suis plus enclin à faire confiance à mes instincts qui, par définition, sont de l’inconscient ». Une démarche qui rejoint finalement celle de Cave et Ellis, qui composent en se lançant dans l’inconnu via l’improvisation, à la recherche de pépites musicales.

Si This much I know to be true contient de très belles chansons (comme Waiting for you), d’autres suscitent moins l’intérêt par leur caractère expérimental. Moins riche que son prédécesseur, moins émouvant aussi, ce film s’adresse avant tout aux fans de Nick Cave qui auront plaisir à y retrouver l’artiste. Les autres préfèreront le film de 2016, bien plus satisfaisant.


ONE MORE TIME WITH FEELING ET THIS MUCH I KNOW TO BE TRUE SONT DISPONIBLES SUR MUBI

 

(1) Cave a perdu un autre fils, Jethro, en mai 2022 à l’âge de 31 ans.
(2) Le chanteur ne donne quasiment plus d’interviews et s’exprime uniquement sur un site d’échange avec ses fans qu’il a créé : The Red Hand Files.
(3) Ne pas confondre ce film avec la mini-série I know this much is true avec Mark Ruffalo.

 




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