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THE BURNT ORANGE HERESY

Critique d’art grandiloquent en mal de contrats, James Figueras amuse la galerie face à un groupe de touristes américains quand un riche collectionneur le contacte pour lui proposer l’affaire du siècle : une interview avec un grand maître à la retraite, isolé du monde et des médias. Mais il s’agit d’un marché, et la contrepartie n’est pas des moindres…

Critique du film

Présenté en clôture de la Mostra de Venise, The Burnt Orange Heresy a tout pour attirer l’œil. Un réalisateur italien présentant son premier film anglophone, une esthétique ultra léchée, Mick Jagger en parfait arnaqueur, la mascotte de The Square (Ruben Östlund, 2017), Claes Bang, ayant remporté la Palme d’or à Cannes, et un synopsis dont on soupçonne qu’il va s’attarder sur tout ce qu’il y a de vil, de jouissif et d’usurpateur dans l’esprit humain, quand on parle d’art. Il y a les beaux arts, et Capotondi choisit ici d’évoquer l’art sale, l’art maladroit, tâchant de distinguer le vrai du faux en jouant la partition d’un thriller pour embarquer le spectateur dans une expérience immersive dans les bas-fonds du monde de l’art. Un défi sensible qu’il parvient à relever en partie.

The Burnt Orange Heresy porte un titre si inventif qu’il faut se rendre à l’évidence : seul un écrivain pouvait en être à l’origine. Charles Willeford, précisément, qui s’échappa au travers de ses romans des méandres d’une vie tout aussi rocambolesque et marquée par la guerre. Capotondi conserve une part de l’aspect narratif dans la récurrence des dialogues existentialistes qui sont le pilier de son film. Visuellement, il peine à s’éloigner de son expérience de réalisateur de clips, proposant un montage et une façon de filmer contemplatifs. On voit toutefois poindre un manque de pertinence scénaristique, en général trop souvent amené par la perdition d’un personnage que justifie une mise en scène simpliste de la folie.

BAS LES MASQUES !

Dans son rythme lancinant de film sombre quoique cynique, accompagné par une bande originale signée par l’anglais Craig Armstrong, The Burnt Orange Heresy est pensé comme un dialogue entre l’artiste et le public, d’où il tire toute son agréable singularité. A la manière d’une promenade comme aux fondements de la philosophie grecque, et non comme sont énoncés aujourd’hui les questionnements succincts sur lesquels planchent les étudiants pendant quatre heures, Capotondi prend la main de celui ou celle qui écoute, et lui propose cette approche plus naturelle de la réflexion sensible autour de la création et de l’individualité.

The burnt orange heresy

Qui décide de la valeur de l’art ? Que devient l’artiste sans la critique ? Who cares ! Donald Sutherland, en sorte de Banksy à la retraite fuyant les medias pour cultiver son inspiration loin du monde et des cocktails d’expositions, se fond dans la peau du peintre Debney pour introduire une respiration dans le film. En parfait anti-héros rongé par l’oubli de soi et une cupidité sans bornes, James Figueras ne perçoit pas le discours de l’homme tranquille, qui prône un retour au vrai. Son chèque clignote en permanence, au-dessus de la tête du peintre. Tandis que ce-dernier, amusé par la culture du masque social, tant dans le domaine professionnel qu’au niveau des relations intimes, semble étudier les deux jeunes gens venus lui rendre visite d’un regard calme et indulgent. Avant d’être artiste, c’est un homme libre, symbolisant la doctrine du « voyager léger », sans attaches matérielles, sans ego. Un fossé terrible se creuse alors entre le personnage vénal que nous suivons tant bien que mal depuis le commencement du film, et le peintre aux propos spirituels qu’il est censé interviewer.

La seule figure qui n’est pas hermétique à ce duel silencieux, à ce choc de personnalités, est celle de la jeune femme accompagnant Figueras. Le lien entre le monde des morts, et celui des vivants, c’est Bérénice Hollis qui le personnifie, jeune amie du critique d’art, qu’interprète l’évanescente Elizabeth Debicki (Tenet, 2020) et dont le personnage n’est pas sans rappeler la Bérénice de Poe dans ses Nouvelles Extraordinaires, désespérément liée à un homme et dépérissant petit à petit. En ce sens la comédienne incarne très justement ce rôle de poupée morte-vivante, mais ne semble malheureusement pas avoir une importance au-delà de cette représentation fataliste. C’est une ambiance gothique à laquelle Capotondi rend hommage par la présence du manoir habité d’œuvres d’art et accueillant des âmes perdues, manquant de vie et dont les échanges distendus se fondent parfois en monologues partagés. En fantôme excentrique, Mick Jagger devient cet œil omniscient, au pouvoir tragique de connaître la suite, et de la laisser arriver, implacable.

Finalement, l’intérêt de cette histoire ne réside peut-être pas dans sa présentation de l’art qui s’achète et se questionne, mais bel et bien dans l’idée de tragédie qui suit son cours. Il semblerait pourtant qu’il y ait toujours, dans la plus noire des nuits, des êtres de lumière. The Burnt Orange Heresy aurait tant gagné à raconter l’histoire de Bérénice Hollis, en fin de compte. « Dans l’étrange anomalie de mon existence, les sentiments ne me sont jamais venus du cœur, et mes passions sont toujours venues de l’esprit » (Edgar Allan Poe, Bérénice)


Disponible sur Prime Vidéo


 




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