Sous les figues

SOUS LES FIGUES

Au milieu des figuiers, pendant la récolte estivale, de jeunes femmes et hommes cultivent de nouveaux sentiments, se courtisent, tentent de se comprendre, nouent – et fuient – des relations plus profondes.

Critique du film

À mi-chemin entre la chronique naturaliste et le documentaire, Sous les figues observe, le temps d’une journée estivale, les jeux de séduction et de domination à l’œuvre au sein d’un groupe d’ouvriers agricoles du nord-est de la Tunisie. Un film juste et sensuel, résolument placé du côté des jeunes et des femmes.

Une journée ordinaire

C’est l’aube naissante. Deux camionnettes chargent les travailleurs journaliers. Alors que les femmes plus âgées peinent à se hisser sur le plateau arrière où s’entassent debout les unes et les autres, Fidé attend confortablement installée à l’avant du véhicule. Ce régime de faveur ne manque pas d’alimenter la conversation qui tient éveillée le reste de la troupe. Le chef est un jeune homme qui porte l’arrogance en bandoulière et la casquette à l’envers. L’équipe est constituée d’habitués et de nouveaux. Parmi les habitués, on distingue rapidement deux clans, celui des jeunes, affectés à la récolte et celui des plus âgées (majoritairement des femmes) chargées du tri et du conditionnement. Erige Sehiri s’intéresse à la routine du travail en filmant la répétition des gestes et des situations, la peur de casser une branche, la surveillance permanente, l’angoisse d’être renvoyé avec perte et fracas (en l’absence de tout contrat de travail). Deux faits nouveaux viennent pimenter le quotidien de la récolte. D’une part, le retour d’Abdou parti vivre depuis quelques années sur la côte, à Monastir. D’autre part, le vol organisé de cagettes de figues. Le chef redouble d’attention et met la pression sur Leila, femme d’expérience qui accepte, pour quelques dinars supplémentaires d’épier et dénoncer les tricheurs.

Belle sensualité

À chaque arbre son binôme, les garçons grimpent et les filles lèvent les bras. De figuier en figuier, les couples trouvent de nouvelles combinaisons. Le film cueille à son tour les conversations, la caméra déambule dans le verger et capte les fragments d’un radieux badinage. Cette désinvolture en dit long sur le rapport au travail de cette génération. Elle le perçoit comme utilitaire et vit l’exploitation ouvrière avec détachement, cherche moins à se rebeller qu’à saboter consciencieusement chaque minute utile, joue à cache-cache avec l’autorité. Erige Sehiri filme Sana, Fidé, Abdou et les autres avec une très belle sensualité. Le film témoigne parfaitement des corps en souffrance des aînés, leurs visages fatigués et leurs attitudes résignées que la jeune génération tunisienne regarde comme des contre-modèles absolus.

Sous les figues
La parole circule parmi les jeunes où certains couples sont déjà formés. Ce sont les filles qui se dévoilent le plus. Elles expriment craintes et espoirs mais surtout une forte volonté de s’émanciper des traditions patriarcales. Les positions des garçons sont plus confuses, on les sent déstabilisés face à l’évolution des mœurs, hébétés devant la liberté d’expression que les filles affirment sur les réseaux sociaux, en contraste avec leur apparente sagesse.

La minute, le jour, l’époque

La journée s’écoule, à la fois identique à la précédente et ponctuée d’événements singuliers dont on pressent les échos sur la vie des protagonistes. C’est la grande réussite du film que de donner à ressentir des temporalités parallèles : l’intensité de la minute, la couleur du jour et les rugueuses espérances de l’époque. Abdou n’est pas seulement venu travailler, il vient revendiquer une terre dont l’héritage est source de conflits. Ghaith est confondu par Laïla, c’est lui qui dérobe des cagettes. Sana subit les assauts du chef dont la position, pense t-il, lui autorise toute latitude. On solde les différends et les comptes au moment de la paye qui voit exploser toutes les tensions de la journée, séquence immédiatement tempérée par une fin en forme de communion chantée alors que, au soleil couchant, les camionnettes ramènent tout le monde au village.

La réalisatrice franco-tunisienne se place résolument du côté de la jeunesse et des filles mais ne juge personne. Pour preuve, elle accorde à Leïla, la moucharde, la plus belle scène du film. Un chant de douleur qui déchire la pause déjeuner après que la femme eut confessé n’avoir jamais été heureuse, mariée de force et en attente de la mort pour enfin rejoindre son amour de toujours. On pense alors très fort à la mère de Y aura t-il de la neige à Noël ?, le très beau film de Sandrine Veysset avec lequel Sous les figues partage un regard de cruelle justesse.

Bande-annonce

7 décembre 2022 – D’Erige Sehiri, avec Ameni Fdhili, Fidé Fdhili et Feten Fdhili.


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