L’OEUVRE SANS AUTEUR
La ficheRéalisé par Florian Henckel von Donnersmarck – Avec Tom Schilling, Sebastian Koch, Paula Beer – Drame, Thriller – Allemagne – 17 juillet 2019 – 1h31
La critique du film
L’œuvre sans auteur retrace trois décennies de la vie et du parcours d’un peintre, Kurt Barnet. Depuis la découverte de sa vocation en 1937 et d’un traumatisme qui surviendra peu de temps après, avec la perte de sa tante, jusqu’à sa réussite, en tant que peintre reconnu et ayant trouvé sa forme d’expression.
Inspiré de la vie du peintre allemand Gerhard Richter, le film de Florian Henckel von Donnersmarck est constitué de deux parties bien distinctes et très riches thématiquement, évoquant aussi bien la question de l’art et de la création, du totalitarisme et du refus de la différence mais aussi de l’éveil, de ce qui peut déclencher une vocation ou libérer une parole ou une expression artistique.
Atrocités et conventions
La première partie est consacrée au contexte dans lequel grandit le jeune Kurt Barnet (Tom Schilling) (le nazisme avec ses atrocités, son refus d’un art « dégénéré » et sa destruction systématique de ce qui ne rentre pas dans les conventions et les plans établis), le choc qu’il ressent au contact d’une tante diagnostiquée schizophrène (interprétée par Saskia Rosendahl), mais surtout libre et anticonformiste, et qui va avoir une influence déterminante dans le parcours du futur peintre en lui enseignant à ne jamais détourner les yeux (« Never look away » est d’ailleurs le titre anglais du film). Ce premier volet voit aussi éclore l’histoire d’amour du héros avec Ellie Seeband (Paula Beer), dont le père est un gynécologue (Sebastian Koch) dont le passé est lié à celui de Kurt et de sa famille.
Le second volet développe le parcours d’un artiste qui cherche, sa voie et sa voix, son mode d’expression et qui va s’éveiller mais aussi éveiller grâce à des rencontres déterminantes (le directeur de l’école de Düsseldorf, inspiré par Joseph Beuys, un personnage au départ étrange mais au final très attachant) et malgré un conformisme ambiant et des préjugés bien présents aussi en dehors des dictatures.
La première scène du film nous emmène à l’exposition sur l’art dégénéré, considéré comme tel par les autorités nazies, tant pour la forme novatrice que pouvaient prendre les œuvres concernées que pour les thèmes iconoclastes (critique de l’armée et du patriotisme, par exemple). Très vite on sent le climat de l’époque, pesant, menaçant (comme c’était le cas dans La Vie des autres, premier film du metteur-en-scène) ; mieux vaut être dans la norme (quitte à s’inscrire au Parti Nazi, comme on le conseille au père du jeune Kurt). La tante de Kurt, Elizabeth, sera malheureusement la victime d’un système qui broie les autres, s’ils sont trop différents ou trop fragiles.
Trouver sa voie
Et même en dehors des systèmes totalitaires, la difficulté est grande de trouver sa voie, comme le montrent les premières scènes situées à l’Institut de Düsseldorf où le travail des élèves ne semble pas intéresser à priori les enseignants. Les élèves semblent livrés à eux-mêmes, mais peut-être est-ce une façon de les contraindre à se libérer par eux-mêmes. Cette question de s’éveiller ou d‘éveiller l’autre est très présente dans le film de Florian Henckel von Donnersmarck, à travers ce que Kurt hérite de sa tante et de la relation qu’il va avoir avec son professeur à Düsseldorf, où on peut parler de symbiose, tant chacun apporte quelque chose à l’autre.
Le film est réalisé avec beaucoup de sobriété, avec des moments d’émotion (les visions du bombardement, la façon dont le professeur de Kurt va se dévoiler), des éléments romanesques (Le professeur Seeband qui échappe aux sanctions et se retrouve protégé) sans oublier plusieurs notes d’humour. On retrouve cette sobriété, ce refus du spectaculaire dans l’interprétation tout en nuances des acteurs, de Tom Schilling (Oh boy) à Sebastian Kock (impeccable en personnage froid, méthodique et effrayant par son apparente banalité) en passant par Paula Beer et Saskia Rosendahl, sans oublier Olivier Masuccio, très touchant. Enfin, la partition de Max Richter, très réussie, souligne la beauté des images avec grâce. Ces qualités font de ce film une œuvre à la fois ambitieuse et accessible.