Chansons d’amour

LES CHANSONS D’AMOUR

Toutes les chansons d’amour racontent la même histoire : « Il y a trop de gens qui t’aiment »… « Je ne pourrais jamais vivre sans toi »… « Sorry Angel ». Les chansons d’amour racontent aussi cette histoire-là.

Critique du film

À 35 ans, en 2006, Christophe Honoré est un jeune auteur comblé. Ambitieux, il est à la fois un romancier publié, et un réalisateur émergent qui a obtenu deux succès critique avec 17 fois Cécile Cassard, et le controversé Ma mère où il donne un rôle inoubliable à Isabelle Huppert, et on retrouve déjà Louis Garrel, nouant une collaboration majeure pour les deux hommes. C’est aussi cette année là qu’Honoré sort le premier opus d’une œuvre composite qu’on a pu qualifier de Trilogie de l’hiver.

Dans Paris fut ce premier jalon, de très bonne qualité, qui consacrait Romain Duris, très à l’aise dans l’univers torturé d’Honoré. Le ton est donné, autour de Guy Marchand, Louis Garrel et Joana Preiss, le réalisateur breton semble ausculter le passé du cinéma français, ce sous son éclairage personnel. Loin de se présenter comme un gardien de musée, agitant des restes d’un cinéma qui ne serait pas le sien, Christophe Honoré a bel et bien entamé une déconstruction de ces éléments, concept dont il n’aura de cesse de repousser les limites.

L’année suivante est présenté au festival de Cannes, Les chansons d’amour, suite thématique et sœur jumelle de Dans Paris. Garrel y occupe désormais le premier plan, positionné en jeune premier, amoureux contrarié, qui ne sait choisir entre les deux femmes de sa vie, qu’il fait cohabiter dans un « trouple » atypique. La structure en trois chapitres du film épouse trois sentiments différents, chacun nous renvoyant à une facette des personnages. Plus encore, chaque partie prend à rebours les attentes du spectateurs pour questionner son époque. Le trublion Ismaël, présenté comme un feu-follet séducteur et solaire, se mute en réceptacle du deuil, qui envahit l’écran pour le contenir entièrement. Ce virage que prend le film, navigant alors entre plusieurs genre de comédie, musicale notamment, le place dès lors au cœur de la tonalité du projet « honorien ». Le froid hivernal a capturé au delà des corps, s’emparant des esprits et des cœurs, tyran implacable qui impose son deuil, sa gestion cauchemardesque. Las, il aurait été trop facile de s’en arrêter ici, le projet des Chansons d’amour est de démontrer que celles-ci brillent même dans la nuit la plus noire.

Le virage émotionnel pris par l’histoire dans sa deuxième partie fait écho au désespoir du personnage de Romain Duris joué dans Dans Paris. C’est en se déconstruisant, et en ne cloisonnant pas sa conception de l’amour, qu’Ismaël peut renaître, vivant. Le thème de la mosaïque, de petits morceaux de verre qui assemblés deviennent une œuvre d’art, s’impose ici. Plutôt que de sombrer dans le deuil et la dépression, Ismaël accueille les sentiments d’un jeune homme, il accepte d’aimer de nouveau. Cette évocation de la bisexualité, considérée frontalement et explicitement, fait beaucoup penser au cinéma de Guy Gilles, qu’il s’il appartient à la même génération que tous les cinéastes cités par Honoré dans le film (Truffaut, Godard, Demy etc.), est le seul à avoir cassé les codes d’un moule un peu trop hétérosexuel présent dans les films de la Nouvelle vague. Dans cette deuxième partie du film, Garrel fait moins penser à Jean-Pierre Léaud, inspiration notamment de cette au lit livre à la main, mais plus à Patrick Jouané, incandescent héros des films de Guy Gilles.

S’il déconstruit le rapport à l’amour de ces personnages, Honoré nous montre aussi le monde en construction autour de lui. On peut en effet noter que le film est presque intégralement tourné dans le Xème arrondissement de Paris, en montrant ces atours populaires, loin des beaux quartiers des films de la Nouvelle vague. Une étrange coïncidence veut que le quartier gravitant autour du boulevard de Strasbourg fut celui du fief de campagne du futur président Nicolas Sarkozy, dont on aperçoit une affiche de campagne, quelques semaines avant son sacre aux élections. L’ambiance est sombre, il ne semble ne jamais faire jour, un hiver parisien typique comme on en voit presque plus, tel un crépuscule qui n’annonce aucun jour heureux. Les chants et les pas de danse se font dès lors dans cette atmosphère humide et froide où chacun semble devoir toucher le fond.

L’espoir final, qui sonne comme une épitaphe glorieuse, est presque innocente dans sa simplicité. Comme le dit Alex Beaupain dans l’un de ses textes, il faut s’aimer, ne serait-ce que pour la beauté du geste. Cette faculté à rebondir, même au cœur d’une nuit qui semble devoir nous engloutir, est sans doute, alors, ce qu’il reste de plus beau, et de plus pur à l’être humain. Les amours d’Ismaël sont ici sa liberté et sa sauvegarde.

Avant même le troisième « épisode », La belle personne qui sortira en 2008, Christophe Honoré a réalisé son plus beau film. Loin d’être une imitation de ses illustres prédécesseurs, et malgré les nombreux clins d’œil qu’il leur fait, le réalisateur de Non ma fille tu n’iras pas danser (2009), a réussi à composer une œuvre très personnelle. Chaque chanson, pourtant déjà existante, est telle une pulsation d’un cœur meurtri par la vie, mais qui bat toujours, dans un instinct de survie sublime et inoubliable.


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