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LE ROMAN DE RENART

Le Renard est toujours prêt aux plus grandes facéties, même devant la cour de Lion le Goupil. A tel point que celui-ci n’hésite pas à le jeter en prison. Mais Goupil, lors d’une audience, lui fait miroiter l’existence d’un fabuleux trésor. Il est aussitôt libéré. S’apercevant de la supercherie, Noble le Lion ordonne le siège de Malpertuis, le château de Renard. Une fois de plus, ce dernier l’emporte et le roi, comprenant que Goupil est le plus astucieux sujet de son royaume, le couronne et en fait son ministre.

Critique du film

Long métrage français de marionnettes réalisé par Ladislas et Irène Starewitch, sorti en Allemagne en 1937 et en France en 1941, Le Roman de Renard est une adaptation en film d’animation du célèbre Roman de Renart, un ensemble de récits médiévaux français ayant pour personnage principal Renart, un renard gredin qui passe son temps à duper les autres animaux.

Difficile de ne pas s’arrêter en premier lieu sur la prouesse technique lors du visionnage du Roman de Renard. Au moment de la réalisation des prises de vues en 1930, les moyens et dispositifs liés au travail avec les marionnettes étaient encore à approfondir, quand il ne fallait pas en inventer de nouveaux pour les besoins spécifiques des films. Pourtant, l’œuvre de Ladislas et Irène Starewitch, premier long-métrage d’animation produit en France, n’est jamais prise en défaut par ce savoir-faire qui restait encore à instaurer : l’animation des personnages est très réussie, en particulier au niveau des visages. Les mouvements précis des yeux, des oreilles et surtout des babines permettent de brouiller assez justement la frontière entre rictus humains et comportements d’animaux. Il en va de même pour le travail de la gestuelle des marionnettes, en accord avec le rang social de chaque protagoniste, qui introduit un langage corporel presque aussi important que les échanges à l’oral – probablement un héritage de la première version du film, qui était muette.

L’adaptation des Starewitch reste dans le même registre fabuleux que le récit médiéval originel. Fragmenté en scénettes racontant chacune l’histoire d’un animal dupé par Maître Renard, le film est dédié au pouvoir de la parole et à sa capacité de persuasion. On ne comprend donc que trop bien la volonté des réalisateurs de proposer une version sonorisée de leur œuvre, au prix d’un très long processus de post-production : une version en allemand verra d’abord le jour en 1937, puis la version française suivra en 1941, plus de dix ans après la fin du tournage. Le résultat de ces efforts pour apporter un doublage au film est convaincant, le caractère royal et autoritaire du roi sonnant aussi juste que la voix de faux-jeton mielleux de Renard, mais on regrettera la piètre qualité de l’enregistrement. La production a certainement eu besoin de faire des concessions pour mener à bien ce projet et le mixage sonore en a beaucoup pâti, au point de rendre certains fragments de répliques et passages chantés incompréhensibles.

Toutefois, cela n’entache pas le plaisir de suivre les petites intrigues de Renard, qui parvient toujours à tourner les situations à son avantage en bernant les animaux trop naïfs pour cesser de croire à ses mensonges. Le film fait état de la roublardise du personnage, mais aussi parfois de sa cruauté : le caractère quelque peu morbide de l’apparition du cadavre de la Poule est à peine atténué par l’humour de la scène et les moyens de représentation de l’animation. L’œuvre est ponctuée de quelques autres pointes de cynisme du même genre, tournant autour de la question du maintien des intérêts personnels. Ainsi, Maître Blaireau, cousin et avocat de Renard qui le défend à la cour du roi contre vents et marées, n’hésite pas à le trahir pour se sauver dès que des menaces pèsent sur lui. De même, le roi met en place une nouvelle loi visant à interdire la consommation d’autres animaux pour faire cesser les agissements de Renard, mais un décret précise que cette restriction ne concerne pas la famille royale. Le long-métrage aurait cependant gagné à s’engager plus franchement dans cette dimension critique : la portée de la satyre sociale reste très légère alors que le film se place à la suite de toute une tradition de l’anthropomorphisme allant des fables de Jean de la Fontaine aux illustrations de Grandville, tous deux pourtant évoqués par les Starewitch.

Cette position dicte en partie le type d’humour employé par le film : en dehors du lièvre peureux et du chat amoureux, la comédie de caractère est plutôt absente et les victimes de Renard se font tous berner un peu de la même manière, en appuyant davantage sur leur désir animal (manger du miel, du poisson, des souris) que leurs défauts humains. Le film se tourne plutôt vers un humour slapstick, plus en vogue à l’époque du tournage et peut-être plus accessible pour le jeune public. Les personnages se retrouvent donc coincés dans un arbre ou au fond d’un puits, ils glissent sur une mare gelée, sont soulevés et jetés comme s’ils ne pesaient rien et se font battre à leur insu, par des coups de fourche, de rateau, et d’autres outils encore. Le Roman de Renard ne réinvente pas ce registre mais le spectacle est plaisant, et culmine à la fin lors d’un grand siège du château de Renard. Sorte de matérialisation de l’esprit retors de son propriétaire, la forteresse est truffée de pièges et repousse les assaillants à grand renfort de mécanismes en tous genres, dont le caractère surprenant est toutefois gêné par la longueur de la séquence et la répétitivité de son montage.

Au terme du visionnage, le long-métrage de Ladislas Starewitch et sa fille Irène paraît s’apprécier davantage comme une œuvre fondatrice que comme une œuvre tout court. Le divertissement est rondement mené, mais on n’y retrouvera pas le lyrisme et les propositions esthétiques radicales des Aventures du Prince Ahmed, le premier long-métrage d’animation produit en Allemagne. Le Roman de Renard est plus beau quand il est pensé comme un acte de création, comme une pure expérimentation ce qu’il est possible de faire avec l’animation de marionnettes. Le travail rigoureux des Starewitch est d’ailleurs remarquable dans sa manière de s’emparer de certains éléments propres au cinéma d’animation et toujours usités de nos jours (les références et anachronismes avec le singe commentateur sportif, l’intertextualité avec la reprise en ouverture du Corbeau et du Renard, la réflexivité qui s’exprime par la présence de la salle de projection et de la main de l’animateur), ce qui confère un intérêt presque muséal à leur film, somme d’une histoire des longs-métrages d’animation qui ne faisait que commencer avec eux.


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