LA VIE DE FAMILLE
Chaque samedi, au grand désespoir de sa femme, Emmanuel retrouve sa fille Elise, fruit d’une première union. Père exigeant et excessif dans ses passions, il va tendre un piège amoureux à Elise.
La vie de famille n’est pas une sinécure
Huitième film de Jacques Doillon, La Vie de famille, réalisé en 1984 entre La Pirate et La Tentation d’Isabelle, brasse des thèmes chers au réalisateur : celui de l’enfance, celui de l’amour et de sa complexité, et bien sûr la difficulté d’aimer véritablement.
La Vie de famille commence par une scène de dispute domestique à l’origine relativement anodine, mais qui va devenir très violente. Emmanuel – Sami Frey, impeccable comme toujours – reproche à Natacha – Juliette Binoche dans un de ses premiers rôles, la fille de sa compagne, de lui avoir pris son rasoir sans le lui demander. S’ensuit un échange verbal vindicatif où les griefs sont exprimés avec excès, la comparaison avec la torture étant verbalisée par chacun des deux protagonistes pour définir le comportement de l’autre. On sent alors tout le déséquilibre de cette cellule familiale recomposée, dysfonctionnelle et celui de cet homme qu’on va suivre dans un périple avec sa fille Elise, née de sa précédente union avec Lili.
Emmanuel emmène sa fille de dix ans dans un voyage en voiture qui va les mener jusqu’en Espagne. Brusque, hypersensible ou immature, le père semble parfois extrêmement dur avec Elise, lui parlant sèchement ou lui faisant des reproches qu’on imagine difficilement faire à une enfant de cet âge, la trouvant « fuyante, insaisissable et superficielle ». Emmanuel souffre et affirme souffrir du comportement de sa fille. Les rapports sont inversés. L’être fragile c’est le père, l’homme dont l’apparente dureté masque difficilement une vulnérabilité pathologique, névrotique. La fille paraît d’une maturité étonnante, d’une force inhabituelle pour une enfant de cet âge, peut-être parce qu’elle n’a pas le choix.
Au cours de ce road trip, le duo père fille se livre à des facéties, dort à l’hôtel dans le même lit, s’exprime à travers la caméra d’Emmanuel qui joue à faire un film avec Elise. La caméra du père ne filme pas que des plaisanteries, parfois d’un goût douteux ; elle sert également à prendre sur le vif des instants d’émotions qui surgissent quand on s‘y attend le moins. Vers la fin, cette œuvre atypique, ludique et profondément originale prend des accents déchirants lorsque Elise exprime tant de choses en peu de mots. La jeune fille qui l’interprète et qui avait douze ans à l’époque, Mara Goyet, fille du scénariste livre quelque chose de très fort, perturbant.
Emmanuel filme sa fille peut-être pour mieux la comprendre et l’aimer. Lui qui semble avoir de grandes difficultés à exprimer cet amour paternel. « La vie de famille n’est pas une sinécure » affirme-t-il. Il pourrait très certainement dire la même chose de l’amour et des sentiments en général. Sa relation avec sa nouvelle compagne – Juliet Berto – ne semble pas non plus être des plus harmonieuses.
Tout le talent de Jacques Doillon et de ses interprètes, tous remarquables, permet au film de captiver dans sa singularité, son refus de la norme établie et ce mélange de gravité et de légèreté.
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La Vie de famille fait partie de la rétrospective Jacques Doillon, jeune cinéaste, qui comprend trois autres films : Les Doigts dans la tête, La Drôlesse et La Femme qui pleure ; les quatre films, restaurés en 4K, sont ressortis depuis le 23 mars et sont distribués par Malavida.