L’arbre aux papillons d’or

L’ARBRE AUX PAPILLONS D’OR

Après la mort de sa belle-sœur dans un accident de moto à Saigon, Thien se voit confier la tâche de ramener son corps dans leur village natal. Il y emmène également son neveu Dao (5 ans), qui a miraculeusement survécu à l’accident. Au milieu des paysages mystiques de la campagne vietnamienne, Thien part à la recherche de son frère aîné, disparu il y a des années, un voyage qui remet profondément en question sa foi.

CRITIQUE DU FILM

Pham Thien An est de ces auteurs qui, en quelques plans, définissent un territoire et l’impriment pour toujours dans nos rétines. Ce tour de force est établi par un premier film de fiction, L’arbre aux papillons d’or, qui intervient après deux court-métrages remarqués en festival, et qui dessine immédiatement les contours d’une œuvre d’ores et déjà à suivre. C’est au Vietnam que se déroule l’histoire, pays surtout connu au cinéma par les films étasuniens relatant cette fameuse guerre du tournant des années 1960-1970. Le regard porté sur son pays partage un projet de mise en scène qui n’aura de cesse de jongler entre la surprise et l’étonnement, dans un rythme très narratif, mais aussi très lent qui laisse la part belle au plan et à l’établissement d’une esthétique unique et singulière.

Dès la première séquence, le déplacement de la caméra, pour signifier un accident, bouleverse le confort du spectateur pour le confronter au drame, fondation de tout le reste du scénario. En un mouvement latéral soudain, on saute dans le cœur de l’histoire, qui va nous emmener loin de la ville de Saïgon, dans un voyage vers la campagne qui fait penser à celui retrouvé dans Los reyes del mundo de la colombienne Laura Mora. Dans le même ordre idée, un événement entame un « road trip » loin de la ville, à la recherche d’un passé brumeux qui va par faire irruption dans le plan par le biais d’un dispositif très surprenant. Quand les souvenirs envahissent le personnage principal, c’est grâce à un mouvement de caméra très délicat que nous voyons apparaître les motifs oubliés, renseignant sur les tenants et les aboutissants de cette quête.

L’arbre aux papillons d’or

Si l’image est donc un moteur particulièrement vif au cœur de la proposition de cinéma du cinéaste, le son tient un rôle important qui n’est pas sans rappeler celui d’un film comme Les bruits de Recife de Kleber Mendonça Filho. Le son et l’image se décorrèlent pour imprimer un mouvement, dans un rapport très sensoriel et organique qui déroute et fascine tout à la fois. Sans jamais perdre de vue son histoire, Pham Thien An utilise tous les moyens à sa disposition pour créer un film différent, à la fois préoccupé par l’histoire intime de ce personnage et son neveu, mais aussi par tout le territoire vietnamien qui est magnifié à chaque scène. Cette dimension sensorielle très forte ne rapproche pourtant pas vraiment son cinéma de celui du voisin thaïlandais Apichatpong Weerasethakul. L’onirisme et la poésie de L’Arbre aux papillons d’or font plus penser au Taïwan d’Hou Hsiao Hsien, celui découvert en 1984 avec son grand film Les Garçons de Fengkuei.

En partant sur la route, Thien, va à la rencontre des cendres des fondations de son berceau familial. Tous et toutes ont quitté le village des origines, les parents vers les Etats-Unis, les frères et sœurs vers d’autres lieux. Ce grand frère, disparu et perdu de vue, devient un prétexte pour revisiter l’enfance, et par là s’interroger sur le sens de la vie par le biais de cet enfant à élever. Dans cet itinéraire intime, il y a aussi un petit quelque chose de Kaili Blues de Bi Gan, les deux films mettant l’accent sur une même ruralité où l’on se déplace à deux roues sur des routes qui semblent oubliées et comme autant de voies d’introspection où l’on se cherche et où on finit tout simplement par se perdre. Thien va se dissoudre complètement à la fois dans le temps mais aussi dans l’environnement, perdu dans les fantômes du passé, dont il ne subsiste plus que des énergies fugaces. On se souvient vaguement d’un nom, d’une maison, sans être jamais vraiment sûrs de rien.

Ce chassé-croisé entre rêve et réalité, entre responsabilité très concrète et fuite du présent qui se marque dans l’histoire et sur l’écran, accouche d’un film à l’arôme si particulier qu’on a parfois le sentiment de réapprendre des motifs aussi banals que le flash-back ou le travelling. L’arbre aux papillons d’or, titre sublime, est un film rare et puissant qui atteste de la naissance d’un auteur avec un style d’une telle maturité et une telle assurance qu’on le croirait déjà confirmé avec un style d’une grande classe.

Bande-annonce

20 septembre 2023 – De An Pham Thien, avec Le Phong Vu, Nguyen Thi Truc Quynh


Cannes 2023 – Caméra d’Or




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