KONTINENTAL ’25
Orsolya est huissière de justice à Cluj, en Transylvanie. Elle doit un jour expulser un sans-abri qui vit dans le sous-sol d’un immeuble du centre-ville transformé en hôtel de luxe. Un événement inattendu la met brusquement face à ses contradictions.
Critique du film
Kontinental ’25, le nouveau Radu Jude (en attendant son Dracula), conte moral sans appel, tend un miroir grossissant sur la médiocrité et l’obscénité de notre époque. L’âcre lucidité du cinéaste roumain fait encore une fois mouche.
C’est une tragédie contemporaine. Un homme se pend à un radiateur avant d’être expulsé du réduit où il avait trouvé refuge. Son tort : avoir posé ses mauvaises humeurs au sous-sol d’un immeuble choisi par un promoteur pour édifier un hôtel de luxe. Exécutrice des basses œuvres, Orsolya entend conduire sa mission avec humanité. Elle rabroue le gendarme tenté de bousculer cet ancien athlète passé des anneaux olympiques aux cercles de l’enfer moderne. Dans toute sa mansuétude, elle lui accorde 20 minutes de sursis afin de rassembler ses affaires. Plus qu’il n’en faut à l’homme traqué pour se passer un fil de fer autour du cou et ajouter du désespoir à l’apesanteur.
Rongée par le remords, Orsolya va promener sa petite culpabilité le temps du film, dans une boucle d’auto-apitoiement que le cinéaste pousse jusqu’à l’écœurement. L’exhibition obscène de cette culpabilité est mise en scène à travers un réseau de platitudes que l’image produite par l’Iphone/caméra redouble. À mesure que l’huissière répète son récit, celui-ci, imperceptiblement, se coule dans le marbre d’une indiscutable fatalité. Le film travaille ainsi, à coups de dictons, d’Histoire figée dans le cuivre des monuments, de prières, une misère de la pensée. On donne aux associations pour s’acheter une bonne conscience, on participe, on réagit à défaut de réfléchir. La commisération étouffe la colère, la complaisance cache l’indécence. Chacun reste confortablement dans son couloir. La copine, elle aussi, a dans son jeu, sa carte SDF, avec force détails répugnants (et une citation hautement ironique du Perfect Days de Wim Wenders). L’ancien élève devenu livreur, dédramatise à grands renforts de blagues sur les moines zen lors d’une soirée absurde et alcoolisée conclue par un coït furtif exécuté dans une pénombre publique et un plan facétieux dont seul le cinéaste a le secret.

Toute à son bouleversement intérieur, Orsolya avait, auparavant, expédié mari et enfants, incapable d’honorer le programme familial des vacances prévues en Grèce. Elle préfère radoter son récit, mécaniquement, sans se rendre compte que les mots, vidés de leur sens, finissent par galvauder un drame dont elle a fini par s’approprier le malheur. Toutes les distances morales sont brouillées, Radu Jude décrit une société à la fois déshumanisée et repues de bons sentiments. La médiocrité est devenue la règle, s’en vanter, la vulgarité ordinaire. Entre les séquences, des plans muets de façades d’immeubles, toutes plus impersonnelles les unes que les autres, indiquent non pas une topographie mais une urbanisation de clapier où chacun semble s’être résolu à une vie de lapin figé dans les phares des écrans domestiques. Le bestiaire artificiel sera complété par un canard mécanique, un chien robot agressif et les dinosaures en plastique d’un parc à thème.
Radu Jude dit s’être inspiré de Europe 51 de Roberto Rossellini pour ce film sans doute moins éclatant que les précédents, et notamment l’extraordinaire N’attendez pas trop de la fin du monde, mais tout aussi vigoureux. Avec la séquence finale, c’est davantage à Michelangelo Antonioni et à l’Éclipse que l’on pense, une ville hantée par les fantômes de tous les Ion qui ont raté une marche, dévissé, et dont l’absence ne trouble le sommeil de personne. Dormir sur ses deux oreilles a un prix : l’indécence.
Bande-annonce
24 septembre 2025 -De Radu Jude






