GARÇON CHIFFON
Jérémie, la trentaine, peine à faire décoller sa carrière de comédien. Sa vie sentimentale est mise à mal par ses crises de jalousie à répétition et son couple bat de l’aile. Il décide alors de quitter Paris et de se rendre sur sa terre d’origine, le Limousin, où il va tenter de se réparer auprès de sa mère…
Critique du film
Né au cinéma chez Patrice Chéreau dans Ceux qui m’aiment prendront le train à tout juste 18 ans, puis chez Philippe Garrel dans Les amants réguliers, Nicolas Maury est un acteur à part. Physique, voix, gestuelle, tout est atypique chez lui et force le regard. Homme de théâtre avant tout, c’est là qu’il s’est d’abord essayé à la mise en scène, où une de ses compositions fut reprise sur grand écran par Catherine Breillat. Il est dès lors naturel que son premier film en tant que metteur en scène ne ressemble à aucun autre, bouscule, dérange presque.
Garçon chiffon est un film conscient de lui-même, et on expérimente cela dès sa première scène. Un homme s’engage dans une rue parisienne, il semble indécis, va à gauche, à droite, troublé par les indications d’une voix robotique qui ne le guide que trop mal. Cela caractérise bien ces prémisses, Nicolas Maury, jouant le premier rôle, ne sait trop de quel coté aller. Cette impression domine une bonne moitié du film.
On rencontre de nombreux personnages, l’amant Albert, la mère jouée par Nathalie Baye, et Kevin un jeune homme rencontré dans le Limousin. C’est par ce dernier que le film bascule et prend finalement son envol, alors qu’on y croyait presque plus. Jérémie s’est séparé de son amoureux, à cause de sa trop grande jalousie, mais il a un rôle à décrocher pour se relancer professionnellement. Son voyage près de sa mère commence laborieusement, illuminé par une réminiscence de l’enfance et une chanson de Vanessa Paradis, et cette rencontre avec Kevin. Leur discussion près de la piscine est éclairante à plus d’un titre. Les dialogues sont d’une grande justesse, et les personnages semblent s’incarner pour la premier fois. Les questions du plus jeune sont crues et simples, mais elles amènent des réponses qui fusent et provoquent quelque chose. Le jeu de Nicolas Maury, dans sa réflexion sur quoi répondre, ce qu’il compose alors est bouleversant. Loin des mots ils fait ressentir son altérité, sa sensibilité à fleur de peau.
Nicolas Maury semble presque s’excuser de l’aspect un peu bancal et extravagant de son film, il glisse ainsi, presque dans un murmure et par la voix d’un autre personnage qui parle de lui, « forcément cela nous amène ailleurs, mais au moins il se passe quelque chose ». Rarement on aura vu un commentaire qui touche autant au cœur de ce qu’il se passe à l’écran. Comme une métaphore de ce qu’il se passe dans la tête du spectateur.
Effectivement, au fil des minutes, il se passe bien quelque chose dans le plan. L’addition des situations, des émotions, l’appréhension des comédiens, tous parfaits, amène une adhésion presque inespérée à l’histoire. Si Jérémie est un être d’excès, qui a du mal à affronter ses sentiments, il devient touchant dans ses aspérités et son intimité. Il y a beaucoup d’humour dans Garçon chiffon, comment pourrait-il en être autrement tellement le film ressemble à son auteur. Il avait déjà fait éclater cet humour froid et teinté de drame dans le très beau Belle épine de Rebecca Zlotowski où au cœur des situations les plus difficiles il arrivait par son charisme et son beau regard triste à désamorcer les tensions d’un mot ou d’une phrase.
Le choix des acteurs et la capacité à les diriger est aussi un motif de satisfaction du film : Théo Christine est admirable dans sa sobriété et dans ce qu’il amène au jeu. C’est par lui que se fait le liant entre les différentes parties de l’histoire, il permet que le tout fonctionne. L’apparition de Laure Calamy dans un moment de fureur survolté est un autre petit bijou de scène, qui allie la drôlerie à la justesse. Quand on croit avoir saisi le film on se rend compte qu’il est en réalité plus complexe, ni un pastiche d’un film de Xavier Dolan, ou d’une comédie française typique. Il se mue en permanence, jusqu’à un final déroutant et d’une grande beauté, une apothéose qui rend heureux. Tout comme le bonheur de découvrir la naissance d’un grand metteur en scène de cinéma.
Bande-annonce
28 octobre 2020 – De et avec Nicolas Maury, Nathalie Baye, Théo Christine.