DES GARÇONS DE PROVINCE
Employé de boîte de nuit, Youcef s’éprend du danseur d’une troupe queer en tournée estivale. Ailleurs, un jeune homme juché sur de hauts talons traverse le village qu’il s’apprête à quitter. Dans un bourg isolé, Jonas a rendez-vous pour des photos érotiques avec un inconnu. Il y a celui qui reste, celui qui part, et celui qui passe. Ce sont des garçons de province.
Critique du film
C’est quoi, être un jeune homme queer en province ? Avec son quatrième film, deux ans après L’été nucléaire, Gaël Lepingle s’empare de la question et explore, le temps de trois scénettes, les marges du territoires et les sexualités qui tentent tant bien que mal de s’y épanouir. Car être gay, dans l’imaginaire culturel, c’est être citadin et gagner, presque par instinct de survie, les lieux où l’art bouillonne, où les possibilités abondent et où des identités multiples se côtoient. Le cinéma français contemporain est riche de ces trajectoires urbaines et de ces rencontres au cœur de la ville, au sein d’une association, comme dans 120 battements par minute ou sur un « dancefloor » comme dans Trois nuits par semaine. Mais que se passe-t-il quand on a 18 ans et qu’on habite dans un petit bourg endormi où rien ne se passe ?
Si certains films se sont emparés plus ou moins ouvertement du sujet de l’homosexualité dans les petites villes, comme Garçon Chiffon ou La belle saison, il y était d’avantage question de retour au pays natal que de « coming of age ». Gaël Lepingle, lui, s’attaque frontalement à la question de la jeunesse queer et prend à contrepied les représentations qui en sont faites habituellement pour aller la chercher là où on ne l’attend pas mais où elle existe bel et bien.
Chasse nonchalante dans la ville, rêves d’ailleurs, fantasmes tristes, solitude… Autant de thèmes qui affleurent délicatement au fil de ces trois récits entrecroisés et qui témoignent aussi bien de l’envie de vivre que de l’ennui des héros. Le réalisateur filme la platitude des paysages, enserrant parfois ses personnages dans un format 4:3 étouffant, mais capture aussi la juvénilité de leurs corps désirants qui se cherchent et s’éprouvent. Choisissant de conserver un ton relativement léger, il évite habilement les poncifs sur l’homosexualité en province et n’aborde que par petites touches la violence qui peut l’entourer, lui préférant un humour un peu mélancolique qui fait mouche.
Tout en racontant l’histoire intemporelle de la différence, le réalisateur jette aussi un regard à la fois tendre et lucide sur le quotidien parfois mortifère des territoires ruraux. Des garçons de province est ainsi tout autant un film sur l’homosexualité que sur la vie loin de la ville, avec ses ambitions tranquilles, son bar local et son temps suspendu -et l’on songe que le cinéma français n’en finit pas de réinvestiguer l’adolescence à la campagne, comme en témoignait ces dernières années les films Les météorites, Teddy ou encore Jacky Caillou. Pour autant, Gaël Lepingle ne s’autorise jamais la moindre condescendance ni le moindre mépris et se contente d’observer sans juger. Il réussit avec ce long métrage à porter un regard doux-amer sur cette communauté LGBTQ à l’intérieur de la communauté LGBTQ, loin des paillettes et des clubs, et rappelle le champ en friche que représentent encore ces vécus dont il reste tout à découvrir.
De Gaël Lépingle, avec Léo Pochat, Yves Batek-Mendy et Edouard Prévot.