ARTHUR RAMBO
Qui est Karim D. ? Ce jeune écrivain engagé au succès annoncé ou son alias, Arthur Rambo, qui poste des messages haineux que l’on exhume un jour des réseaux sociaux…
Critique du film
C’était l’une des figures montantes de la littérature et du journalisme. Mais, en quelques jours, la réputation de Mehdi Meklat a volé en éclats. D’anciens tweets où il débite (sous alias) un flot d’insultes et de propos racistes, sexistes et homophobes, sont exhumés par des internautes. En s’inspirant de l’histoire de Meklat, le réalisateur Laurent Cantet (Entre les murs, L’atelier) tente de sonder ce personnage ambivalent, et de résoudre cette énigme : comment les deux personnalités, la figure publique et son avatar numérique, ont pu cohabiter dans un même esprit ?
Il tisse aussi dans Arthur Rambo une toile de questions que l’on a la nécessité de se poser collectivement, dans une ère où les réseaux sociaux prennent une part non négligeable dans notre vie et notre existence, comme un prolongement de celle-ci. Peut-on tout écrire en ligne ? Comment les réseaux sociaux façonnent-ils nos vies et nos échanges ? À quel point en sommes-nous devenus dépendants pour nous construire sur le plan social, professionnel et même narcissique ?
Bâti un peu comme un film de procès, Karim est sommé à plusieurs reprises de répondre à la question que tout le monde se pose : pourquoi a-t-il écrit ces tweets au contenu si problématique ? Il doit d’abord faire face à ses collaborateurs de sa maison d’édition, désarçonnés après l’avoir tant porté aux nues, mais aussi inquiets quant à la stratégie à adopter pour éteindre la polémique et sauver leurs chiffres de vente. Viennent ensuite les interpellations de son cercle d’amis parisiens, qui conduisent Karim à décliner de nouvelles explications, comme si, en fin de compte, il n’avait de plaidoirie claire pour justifier l’existence de ce double virtuel et de ses propos haineux.
Enfin, et cela compose la seconde partie du film, alors que Karim cherche une échappatoire au cirque médiatique et se réfugie dans sa banlieue natale, il doit se soumettre aux regards de ses anciens collègues du Bondy Blog puis, et surtout, à ceux de son petit frère et de sa mère qui, de générations différentes, n’ont pas le même sentiment vis à vis de toute cette affaire. Cette dernière, très affectée par l’image que cela donne de sa famille et de l’éducation qu’elle aurait donnée à ses fils, sera celle qui le fera le plus vaciller ; sa confrontation avec son frère – qui l’idolâtre – ne sera qu’une énième illustration de la confusion de cet homme tiraillé entre ses ambitions et ses tourments intérieurs.
Cantet met en images une chute, une rétrogradation sociale, et une fuite. Celle d’un transfuge contraint de franchir à nouveau le périphérique, dans l’autre sens, renvoyé à ses origines socio-géographiques après avoir tutoyé les sommets. Avec Arthur Rambo, il tente de façonner un drame qui mettrait en lumière ce monde contemporain embourbé dans ses contradictions, où les réseaux sociaux sont devenus des outils incontournables dans le débat public, avec tout ce qu’ils disent de la fracture sociétale actuelle. Il s’efforce, enfin, d’interroger quant à l’impact de ces outils sur nos vies “ordinaires” et de questionner le spectateur sur son degré de conscience et responsabilité numérique. Un essai pas complètement réussi, loin de la richesse scénaristique et thématique de L’atelier, mais qui a le mérite de raviver la réflexion.
Bande-annonce
2 février 2022 – De Laurent Cantet, avec Rabah Naït Oufella, Antoine Reinartz, Sofian Khammes