Anora

ANORA

Anora, jeune strip-teaseuse de Brooklyn, se transforme en Cendrillon des temps modernes lorsqu’elle rencontre le fils d’un oligarque russe. Sans réfléchir, elle épouse avec enthousiasme son prince charmant ; mais lorsque la nouvelle parvient en Russie, le conte de fées est vite menacé : les parents du jeune homme partent pour New York avec la ferme intention de faire annuler le mariage…

Critique du film

Trois ans après Red Rocket, Sean Baker présente Anora, quittant des acteurs de films X pour s’intéresser à une danseuse exotique, qui donne son nom à cette nouvelle fiction. Ani est jeune, belle, vit avec sa sœur dans un petit logement de la périphérie de New-York, passant en grande partie la nuit dans un club de strip-tease très connu. Son existence est bouleversée par sa rencontre d’Ivan, un Russe tout juste sorti de l’adolescence, issu d’une famille richissime. Désireux de s’amuser une dernière fois avant de quitter les Etats-Unis pour commencer à travailler avec son père, Ivan propose à Ani de passer la semaine avec lui, moyennant une forte somme d’argent. Toute la première partie du film n’est qu’une succession de fêtes, d’excès, qui conduisent une troupe de jeunes gens fortunés à écumer un océan de plaisir qui les mènent jusqu’à Las Vegas et ses casinos.

Le twist est celui d’un changement de vie pour Ani, une ascension sociale à grande vitesse auquel elle se met à croire, elle qui se méfiait de tout et de tous jusque là. Tout cet univers de faux-semblants et de carton pâte qui constituait jusque là le quotidien d’Ivan, contamine Ani, qui se prend à croire en son étoile. Sean Baker, comme à son habitude, pose un regard qui objective énormément le corps féminin, ce qui est d’autant plus évident dans le cas d’une strip-teaseuse devenue escort, pour qui sa plastique est son outil de travail. Là où le film est beaucoup plus réussi et intéressant que Red Rocket son précédent long-métrage, c’est dans la déconstruction qui s’opère de cette mascarade qui s’opère sous les yeux du spectateur.

Une fois le point de bascule de la narration franchi, l’histoire redémarre, avec une couse contre la montre qui commence par retrouver Ivan, qui n’a rien trouvé de mieux que de s’enfuir dès que la moindre adversité s’est présentée. C’est le moment où Ani voit cette nouvelle réalité s’effondrer sous ses yeux, avec une cruauté qui ne va que monter jusqu’au dénouement. Pourtant, c’est avec beaucoup d’humour et de contrepoints narratifs que l’auteur va construire cette deuxième partie. Les nouveaux personnages qui interviennent dans ces séquences sont tous des éléments comiques, tournés en ridicule, à contre-emploi d’une imagerie stéréotypée de la figure des hommes de main vaguement mafieux originaires de Russie.

Anora

L’histoire superpose les couches narratives, avec des éléments de road-trip, de recherche désespérée dans la nuit, pour se muer in fine en tragédie désarmante. Anora est ainsi une fiction qui ne cesse de surprendre, en grande partie grâce à la complexité du personnage éponyme qui laisse exploser sa fragilité après avoir montré une force, un courage et une morgue exceptionnelles pendant plus de deux heures. L’effondrement final, comme un pied de nez à cette apologie de la force et de la survie qui surnageait jusque là, est très surprenant. Au delà des qualités d’écriture déjà citées, il faut souligner toute la qualité d’interprétation de Mikey Madison qui développe une palette d’émotions et de jeu impressionnante. Elle est tour à tour objet du désir, femme aimante, indépendante, mais aussi dévouée à son amour, rebelle et vénéneuse, et enfin fragile aux pieds d’argile.

Très loin de son portrait misogyne d’une ancienne star du X dans Red Rocket, Sean Baker réussit un nouveau film sensible et profond, qui se joue du spectateur en l’embarquant dans une fuite à travers la nuit qui débouche sur une lumière crue et aveuglante. Les dernières images du film, bouleversantes, sont autant de chocs qui ne sont pas près de se dissiper, dévoilant une tendresse et une beauté noire inoubliables.


De Sean Baker, avec Mikey Madison, Mark Eidelstein et Yuriy Borisov.


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