featured_adaptation

ADAPTATION

Fort du succès de Dans la peau de John Malkovich, Charlie Kaufman est sollicité pour adapter Le voleur d’orchidées de la journaliste Susan Orlean. Problème : frustré par son manque d’inspiration, le scénariste voit son deuxième projet devenir plus compliqué à écrire que prévu. Deuxième problème : son frère Donald, différent en tous points, voit son script Les 3 être plébiscité par une grande partie de Hollywood. Il est donc temps pour Charlie de s’adapter aux péripéties de son quotidien…

L’adage veut que le deuxième essai d’un auteur, après une première tentative acclamée, soit celui de la confirmation. Trois ans après le succès critique important de Dans la peau de John Malkovich, le tandem Charlie Kaufman / Spike Jonze récidive avec l’énigmatique Adaptation. La sortie de Je veux juste en finir sur Netflix, écrit et réalisé par Kaufman seul, semble être un excellent prétexte pour revenir sur cette oeuvre, lauréate d’un Oscar en 2003. Mais Adaptation est aussi, accessoirement, le travail le plus brillant de la carrière du réalisateur et de son scénariste.

HAPPY TOGETHER

Difficilement résumable, Adaptation est un long-métrage qui ne fait que graviter, de manière allégorique, autour de la sémantique de son titre. L’adaptation d’un livre au demeurant peu emballant à déplacer vers le médium cinématographique se mue en une multitude de définitions qui s’apposent sur chacun des personnages. L’adaptation du roman de la journaliste devient l’adaptation d’un scénariste à son nouveau statut, l’adaptation de l’auteure à son sujet loin du carcan bourgeois new-yorkais dans lequel elle a ses habitudes, voire l’adaptation d’orchidées après leurs greffes ou mises en bouture. Les pétales de la fleur en question se mettent en parallèle avec la mise en abime narrative infernale du projet, réunissant pas moins de cinq (!!) niveaux de récit et une dimension méta déroutante de cruauté.

Il est vrai que le projet peut être pénible au démarrage, lorsque Charlie Kaufman lui-même explicite la structure qui va suivre. Mais cette préfiguration du squelette masque la grande tristesse qui naît de chacun, propulsant la comédie noire d’abord installée vers un geste dramatique prodigieux. 

Toujours proche de ses névroses, Charlie Kaufman se sert d’elles pour déjouer le cynisme qui peut poindre dans Adaptation. Dans un premier temps, le fait qu’il se mette en scène à travers un acteur et son double fictif amènent forcément un biais aux diversions grinçantes qui peuvent exister. Ensuite, la superposition des voix de Kaufman, entre ce qu’il raconte de l’oeuvre de Orlean et de lui-même en off, sursignifient l’idée d’un espace en vase clos dans lequel son homologue diégétisé s’enfonce, loin de la réalité promise durant les premières minutes du film. De la même manière que Dans la peau de John Malkovich, l’auteur du script s’intéressait déjà au syndrome de la dépersonnalisation et du dédoublement de la personnalité.

Choix identiques dans Adaptation mais dans un angle encore plus pernicieux : ici, le fait de se plaquer lui-même dans la diégèse subordonne de manière très vague les actions du long-métrage et esquisse des fausses pistes qui ne proviennent que de son propre espace mental présenté à l’écran. Evidemment, le dernier acte vient replier tout ce qui se dit en amont; mais le voyage promis offre un empilement narratif passionnant tant il en devient délicieusement cryptique. 

SABOTAGE

Toutefois, Adaptation n’est pas uniquement vampirisé par l’intelligence et les tics anxiogènes de Kaufman. La panoplie visuelle de Spike Jonze, venue tout droit du clip, se ressent fortement dans le long-métrage. Les nombreux artifices visuels devenus désuets au cinéma trouvent ici leur place grâce à l’enchevêtrement des espaces sonores. Les tintements du piano de Carter Burwell, associés à la voix off imposante du protagoniste joué par Nicolas Cage, organisent les effets de montage post-modernes mais par la même occasion désarticulent complètement la narration.  De fait, Jonze s’amuse avec les surimpressions, inserts explicatifs garnis de stock-shots et timelapses pour s’imprégner de l’esprit torturé de ce scénariste en panne d’inspiration. Si nous avions pu cependant imaginer avant le début du film l’utilisation intensive de ses outils visuels de par le passé du cinéaste, le dernier acte du film plongeant dans un drame teinté de thriller offre un regard totalement différent sur le travail de Jonze. 

Plus terre-à-terre, glacial et froid, le film redémarre tout son dispositif par l’utilisation de plans à valeurs resserrées et de faux raccords dans la cartographie pourtant foisonnante de la mangrove floridienne. C’est à cette même occasion que les enjeux se resserrent et que Charlie et Donald Kaufman se retrouvent unis, quitte à ne (re)faire plus qu’un. De la même manière, les tonalités comiques des arcs narratifs deviennent soudainement déchirantes et s’enfoncent dans des circonvolutions mélodramatiques extraordinairement fluides. Ce mélange des genres, tenu par la performance miraculeuse d’un Nicolas Cage hanté par ses angoisses, donne la confirmation que Adaptation est plus qu’une oeuvre singulière. C’est un immense film. 


DÉCOUVREZ CHAQUE DIMANCHE UN CLASSIQUE DU CINÉMA DANS JOUR DE CULTE



%d blogueurs aiment cette page :