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BLUE MOON

1934. Lorenz Hart célèbre le grand succès de son ancien partenaire Richard Rodgers le soir de la première de sa comédie musicale Oklahoma ! à Broadway.

Critique du film

Présenté en première française au Festival de La Roche-sur-Yon après son accueil tiède à la Berlinale, Blue Moon avait tout du projet excitant sur le papier : les retrouvailles entre Richard Linklater et Ethan Hawke. C’est leur première collaboration depuis Boyhood et Before Midnight, autour d’un sujet qui semblait taillé pour eux : la mélancolie du temps qui passe et la primeur de l’audace créative. Inspiré librement d’un dramaturge américain du milieu du XXᵉ siècle, le film s’annonçait comme une réflexion sur la gloire et le déclin. Il en résulte pourtant un biopic verbeux et étouffant, où le talent habituel de Linklater pour la nuance s’efface derrière un narcissisme criard.

Le film s’ouvre sur l’image d’un auteur à succès, autrefois adulé, désormais reclus et amer, qui s’éteint dans l’indifférence. Son ancien ami et partenaire créatif triomphe à Broadway avec Oklahoma!, co-signé avec un autre dramaturge. Rongé par la jalousie, le protagoniste — campé par un Ethan Hawke cabotin, en roue libre — s’enferme dans un long monologue d’aigreur et de ressentiment. Ce qui aurait pu être un portrait subtil de la vanité masculine se transforme en logorrhée pesante. Hawke appuie chaque ligne de dialogue, chaque mouvement, jusqu’à rendre son personnage insupportable. Linklater, qui a souvent su filmer les égarements de l’intellect et les illusions de la jeunesse, tombe ici dans une complaisance psychologique inhabituelle.

Le huis clos accentue cette impression d’étouffement. L’écriture, d’ordinaire vive et mélodieuse, devient ici mécanique, saturée de dialogues autocentrés. La caméra tourne en rond, prisonnière d’un espace confiné et d’un protagoniste qui n’évolue jamais, si ce n’est pour se prêter au jeu des mondanités hypocrites. Le film prend même une tournure dérangeante à force de répétition de saillies libidineuses, qui tranchent avec la délicatesse habituellement associée au cinéaste. Ce glissement vers un regard masculin appuyé surprend d’autant plus qu’il semble déconnecté de l’intelligence émotionnelle dont Linklater a toujours fait preuve.

Blue Moon

Heureusement, la dernière demi-heure introduit un souffle qu’on n’attendait plus, dans des espaces pourtant plus exigus que le bar où Lorenz se saoule depuis le début de la soirée. Longtemps évoqués, les personnages campés par Margaret Qualley et Andrew Scott entrent enfin dans le champ et le film retrouve un semblant d’humanité, un second degré et un peu de tendresse. Ces protagonistes secondaires ramènent du mouvement, de la complexité et une forme de dérision bienvenue, venant éclairer la noirceur stagnante du récit. On retrouve alors, fugacement, l’esprit de Before Sunrise ou de Everybody Wants Some!!, et cette attention à la fragilité humaine et à la musicalité des échanges.

Mais ce sursaut ne suffit pas à atténuer le sentiment d’amère déception que représente Blue Moon, venant de l’un des plus grands observateurs de la condition humaine américaine, qui signe ici un film fermé sur lui-même, célébrant un génie qui n’en est plus un. Un exercice de style froid et bavard, qui donne l’impression d’assister non pas à une renaissance, mais à l’éclipse d’un cinéaste jadis solaire. Il serait temps que le texan se décentre des portraits d’auteurs arrogants pour retrouver la douce inspiration qui l’a rendu si important dans nos coeurs cinéphiles.


La Roche-sur-YonPremière française