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FUCKTOYS

Parce qu’elle a perdu une dent, AP consulte une voyante dans le bayou. Elle lui explique que, victime d’une malédiction, elle devra sacrifier un agneau et payer mille dollars. Avec sa fidèle amie Danni, elle parcourt le pays pour trouver l’argent en vendant son corps et briser le sort.

CRITIQUE DU FILM

Odyssée queer et féministe qui se délecte d’un certain mauvais goût avec ferveur, Fucktoys est le premier film gonzo signé Annapurna Sriram. Derrière son vernis de comédie trash et son grain velouté de 16 mm saturé de pastel, se dévoile un monde fantasmatique entièrement peuplé d’esthètes marginaux.

Tourné en Louisiane, dans des quartiers en désuétude, le film joue avec les codes des contes de princesses pour les transposer dans un univers délibérément sale, irrévérencieux et crasseux — quelque part entre l’esthétique grindhouse et le rêve éveillé déjanté. C’est dans ce monde fragile qu’AP, interprétée par la réalisatrice elle-même, se voit propulsée dans une quête improbable : lever une malédiction en échange de 1000 dollars et du sacrifice d’un agneau, dans la ville charmante de Trashtown — un lieu où le merveilleux s’incruste dans le béton délabré et les néons déglingués. Le film se fait ainsi l’héritier moderne, dérangé et flamboyant, du genre queer-féministe du « conte de fée trash », offrant une plongée dans une Amérique marginale, entre onirisme et grotesque.

On pense évidemment à The Sweet East, pour sa manière de transformer la pérégrination américaine en conte baroque, et un peu à Anora de Sean Baker, pour son attachement aux existences cabossées. Fucktoys s’inscrit dans ce courant du cinéma indépendant qui métamorphose le réel pour en souligner les travers. Par sa manière de conjuguer radicalité et tendresse, provocation et humanisme, Sriram se pose en digne héritière de John Waters, Gregg Araki ou Harmony Korine, dont elle retrouve la crudité poétique et l’énergie flamboyante. Et c’est cette énergie, déployée devant et derrière la caméra, qui impressionne : sa présence est incandescente, son jeu déborde de vitalité, et sa mise en scène épouse ce débordement.

fucktoys

Ode à la sororité, manifeste queer au kitsch assumé et à une bienveillance absolue, Fucktoys est aussi une comédie satirique qui égratigne et règle des comptes. La masculinité toxique y est malmenée avec jubilation, comme dans une séquence irrésistible où une caricature de James Franco est tournée en ridicule avec férocité et humour. Ces éclats satiriques participent pleinement à la dimension féministe et politique du film : déboulonner les figures masculines dominantes en soulignant leur caractère grotesque. Si l’univers peut paraître un peu foutraque et se permettre quelques délires visuels, cette dispersion fait partie du geste : celui d’un film qui privilégie l’expérience au récit linéaire, la saturation des sens à la continuité dramatique. On ressort de Fucktoys défié·e, les sens saturés, le cœur agité, mais certainement pas indifférent·e.

Bien plus qu’un simple premier essai, c’est une déclaration d’intention, une prise de position claire dans le cinéma indépendant. Fucktoys revendique l’excès, le kitsch et le queer comme des armes politiques et cinématographiques. On y ressent un souffle fou, une liberté totale, digne d’un conte de fée féministe pour les laissées-pour-compte — et c’est précisément là que réside sa beauté frénétique. Quant à Annapurna Sriram, tout à la fois crue, drôle, sexy, poétique et lumineuse, elle s’impose déjà comme une voix singulière. Il faudra désormais compter avec elle.


Etrange festival 2025