BULK
La voiture dans laquelle se réveille Corey le conduit vers une maison inconnue. Mais qu’attendent de lui cette scientifique et celui qu’il prend pour un ex-flic ? Sont-ils vraiment ce qu’ils prétendent ? Et lui, est-il vraiment journaliste ? La réalité, fragile, menace de s’évanouir à chaque instant.
CRITIQUE DU FILM
Drôle de carrière que celle de Ben Wheatley. Le cinéaste britannique s’est d’abord fait connaître avec des films de genre indés comme Down Terrace (2009) ou le remarqué Kill List (2011) – pour lequel il avait gagné le Grand Prix Nouveau Genre de l’Étrange Festival. Après avoir poussé l’expérimentation à son maximum avec A Field in England (2013), il avait profité de ses bonnes critiques pour tenter sa chance sur des projets de plus grandes envergures avec un succès tout relatif – High Rise (2015) ou Free Fire (2016). C’est alors qu’il s’est progressivement perdu dans des commandes improbables, allant jusqu’à réaliser Meg 2 en 2023 (En eaux très troubles en VF) – la suite du nanar à gros budget avec le requin géant et Jason Statham ! Voir un auteur aussi singulier s’enliser dans une série B démesurée avait de quoi laisser pantois. On le croyait alors condamné à l’errance dans les eaux troubles du blockbuster hollywoodien.
Mais voilà que Wheatley nous gratifie d’un nouveau passement de jambes avec Bulk, film en noir et blanc qui tient autant du retour aux sources que de l’acte de sabotage jubilatoire. Ici, pas de bestiaire numérique hors de prix ni de grosses cascades tape-à-l’oeil. Bulk revendique l’artisanat, le façonnage à la main, l’incrustation volontairement maladroite et le bricolage de garage. Stop motion haché, collages approximatifs, incrustations qui rappellent autant les trucages des années 50-60 que les bidouillages amateurs : le film exhibe fièrement son patchwork de techniques cheap, comme pour rappeler qu’on peut faire de la science-fiction sans millions de dollars, mais avec une inventivité sans filet.
Lors de l’avant-première à l’Étrange Festival 2025, Wheatley lui-même a présenté son film comme un hommage à Alphaville de Godard, aux comics britanniques de 2000 AD et à l’esthétique furieuse de Métal Hurlant. Et c’est exactement ce que l’on retrouve dans Bulk : un mélange foutraque de SF métaphysique, de pulp déglingué et de poésie absurde, disséminés dans un univers qui tient à la fois du pastiche et de la réinvention.

L’intrigue, si l’on peut l’appeler ainsi, évoque un multivers déglingué : des doubles qui se croisent, des mondes parallèles qui s’effondrent les uns sur les autres, une narration qui se retourne sur elle-même comme un ruban de Möbius. C’est le MCU sous acide ! Impossible de suivre rationnellement l’ensemble, et Wheatley n’essaie même pas de fournir des clés. À côté de Bulk, les Tenet ou Inception de Nolan sont clairs comme de l’eau de roche. Là où Nolan cherche à légitimer son chaos par une logique interne, Wheatley embrasse le non-sens avec une jubilation enfantine symbolisée par un humour burlesque et un sens du grotesque qui désamorce toute prétention.
Les acteurs, eux, semblent avoir tourné le film comme une sorte de réunion entre amis. On retrouve Sam Riley et Alexandra Maria Lara (tous deux mariés à la ville), Noah Taylor, ainsi que Bill Nighy à la narration, tous visiblement ravi·e·s de se prêter à ce jeu loufoque. Cette dimension décontractée nourrit l’énergie du film et renforce son ton potache.
Mais au-delà du jeu et du plaisir de tourner, Bulk se révèle aussi une déclaration d’amour à un cinéma d’un autre temps, celui de la magie visuelle d’un George Méliès ou des animations d’un Ray Harryhausen. Passionné par ces magiciens disparus, le réalisateur anglais veille à réhabiliter un cinéma de bricolage, et à renouer avec l’inventivité des débuts pour mieux réaffirmer que l’imperfection peut être source de beauté. On retrouve le Wheatley des origines, joueur, irrévérencieux, prêt à prendre des risques quitte à dérouter. Et on sort de la projection avec le sourire, un peu perdu, parfois perplexe, mais avec l’impression d’avoir assisté à un vrai geste de cinéma, sincère et décomplexé. En attendant de le revoir aux commandes d’un film d’action ambitieux avec son film suivant Normal, Ben Wheatley s’amuse, et nous avec lui.






