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À FEU DOUX

Élégante octogénaire, Ruth Goldman reçoit un homme à déjeuner. Alors qu’elle pense poursuivre le rendez-vous galant vers une destination surprise, elle est menée à une résidence médicalisée. Portée par un appétit de vivre insatiable et malgré sa mémoire capricieuse, Ruth s’y réapproprie son âge et ses désirs.

Critique du film

Remarqué à Venise et présenté en compétition au Champs-Élysées Film Festival, le premier long-métrage de la réalisatrice et chorégraphe Sarah Friedland explore avec pudeur et subtilité la lente désagrégation de la mémoire. Une œuvre sensible sur la démence, portée par une mise en scène retenue et une comédienne bouleversante.

Passé par le laboratoire de Venice Biennale College et révélé en première mondiale dans cette section de la Mostra en 2023, À feu doux (Familiar Touch) marque les débuts au long-métrage de Sarah Friedland, artiste visuelle et cinéaste américaine venue du champ chorégraphique. Ce parcours transdisciplinaire se ressent dans sa première proposition cinématographique : il irrigue tout son travail sur le corps, le temps et les gestes domestiques, que l’on retrouve ici dans un récit d’une grande douceur, sur le fil de l’intime.

À feu doux

Le film s’inspire de l’expérience personnelle de Friedland, confrontée à la maladie d’Alzheimer d’un proche. Mais À feu doux n’est pas un récit autobiographique au sens strict : il se construit au contraire comme une tentative de saisir ce que la maladie fait au quotidien, aux relations, aux perceptions. Et surtout, ce que l’on continue de partager quand les mots et certains souvenirs s’effacent.

Non-dits

Plutôt que d’en passer par les grandes scènes explicatives ou les démonstrations de douleur appuyées, Sarah Friedland choisit une voie plus discrète, presque sensorielle. Le titre original, Familiar Touch, en dit long sur cette volonté d’aborder la perte par ce qui demeure : le toucher, les gestes du quotidien, la mémoire physique lorsque la mémoire mentale vacille. Au centre du film, la prestation bouleversante de Kathleen Chalfant – remarquable dans la retenue – donne à ce lent effacement une densité troublante. Sans surjouer, elle laisse affleurer dans un regard, une hésitation ou un geste, les fragments de confusion, les élans d’émotion et les éclats de lucidité. À travers elle, le film explore la dimension intérieure de la démence, mais aussi ce qu’elle laisse intact : le désir, la tendresse, le besoin de lien, souvent relégués dans l’ombre lorsqu’il s’agit des personnes âgées, tant dans nos sociétés que dans la représentation qu’en donne le cinéma.

A feu doux

À ses côtés, les autres personnages ne cherchent pas à combler ce manque, mais à l’accompagner, comme si ce si beau personnage de soignante. Friedland ne dramatise rien : elle observe. Et dans cette observation, elle offre une forme d’empathie cinématographique rare. Film de sensations et de textures, À feu doux prend le temps, laisse l’espace respirer, et c’est dans ce calme-là qu’il touche le plus, cherchant à approcher quelque chose de fragile et indicible. Dans un paysage cinématographique parfois tenté par le pathos ou la démonstration, À feu doux trace un sillon modeste mais touchant, traversé par une réelle sensibilité de regard, qui annonce une cinéaste à suivre avec attention.


13 août 2025 – De Sarah Friedland


CEFF 2025 – Prix du Public