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YANN GONZALEZ | Interview

C’est au cœur d’un scénario apocalyptique que nous avons rencontré Yann Gonzalez, dans un Deauville masqué où a lieu l’un des premiers festivals de cinéma après la fin du monde. L’occasion de revenir sur son rôle de juré, mais aussi de discuter de l’expérience de la salle aujourd’hui et du cinéma du futur. 


Vous avez été journaliste, vous êtes aussi et surtout réalisateur, mais aujourd’hui, vous êtes membre du jury du Festival du Film Américain de Deauville. Comment on se retrouve à la place de juré ? 

Yann Gonzalez : C’est sans doute Vanessa [Paradis] qui a du en parler à Bruno [Barde], que je connais aussi un petit peu. C’est l’équipe du Public System qui s’occupe du festival et j’ai déjà été dans le jury de Gérardmer l’année dernière, donc j’ai l’impression qu’ils essayent de créer une espèce de petite famille de cinéma, de cinéphiles et d’artistes, et c’est agréable d’en faire partie. C’était aussi l’occasion de passer un peu de temps avec Vanessa, parce qu’on s’est assez peu vus depuis la fin de la promotion d’Un couteau dans le coeur. Donc on joint l’agréable à l’agréable. 

2020 aura été une année assez particulière, où l’industrie du cinéma aura été mise en pause pendant quelques semaines. Et on se retrouve aujourd’hui à Deauville au beau milieu d’une pandémie. Qu’est-ce que ça fait de retourner en festival ?

Y.G : C’est étrange, parce que pour moi un festival c’est avant tout des rencontres, des nouveaux visages, et là ce sont des visages masqués. Pour l’instant, c’est assez déconcertant de devoir porter des masques tout le temps, de respecter des distances de sécurité alors que pour moi c’est la convivialité, les embrassades, quelque chose d’un peu charnel quoi. Et là, il n’y a rien de tout ça. Je pense que ça va se réchauffer, en plus ce ne sont que des gens que je ne connais pas mais qui ont l’air passionnants et avec lesquels je suis ravi de passer du temps. C’est comme reprendre de vieilles habitudes sous un mode différent. Parfois j’ai l’impression de flotter dans un film de science-fiction, comme depuis le début de cette pandémie. Mais je suis très heureux de retourner en salle, même si ce n’est pas la première fois depuis le début du déconfinement. C’est important pour moi de retrouver la salle. Les plateformes c’est bien un moment, mais j’ai vraiment besoin du plaisir de la salle. 

Je fais des films pour ça, pour que les gens pleurent.

Quel a été votre coup de cœur récemment ? 

Y.G : Je suis allé voir pas mal de reprises. Je suis allé voir Crash de Cronenberg, que je n’avais pas revu depuis que j’étais jeune, au festival de Cannes. Je devais avoir 17 ans quand je l’ai vu là-bas et ça a été un choc, ça m’avait bouleversé. Je trouve le film toujours aussi fort, toujours aussi troublant.

Je suis allé voir aussi deux films de Lattuada, Les Adolescentes et Guendalina, car c’était un cinéaste que je connaissais mal, voir pas du tout et qui m’a vraiment étonné. Et aussi des belles surprises dans le cinéma français avec Effacer l’historique par exemple, que j’ai trouvé à la fois drôle et terrifiant. Il y a également le film de Judd Apatow, The King of Staten Island qui m’a épaté par l’écriture et la direction d’acteur, avec cette actrice que j’adore, Marisa Tomei, qui est toujours de plus en plus belle.

La question de l’expérience de la salle est encore aujourd’hui au centre des préoccupations, particulièrement depuis le confinement et l’explosion des plateformes de streaming. Vous pensez qu’on pourra encore pleurer dans le noir, comme Vanessa Paradis dans le cinéma porno d’Un Couteau dans le Coeur, ou bien que l’expérience sera à jamais différente ? 

Y.G : Je fais des films pour ça, pour que les gens pleurent. Il y a un rapport organique aux films. En tous cas, j’ai cet espoir, sinon il faut tout arrêter. Et j’ai à priori plutôt envie de continuer à faire des films (rires). Et continuer d’être ému aussi en tant que spectateur, c’est d’ailleurs pour ça que j’ai accepté de venir à Deauville. Pour espérer être bouleversé par certains films et certaines découvertes. 

C’est assez surprenant de vous retrouver au Festival de Deauville qui met en avant un cinéma américain auquel on ne pense pas forcément en voyant vos films, qui semblent davantage tournés vers des références européennes, italiennes ou françaises. Qu’est ce qui vous attire dans le cinéma américain ? 

Y.G : Un de mes trois cinéastes préférés, c’est Brian De Palma. C’est tout un pan du Nouvel Hollywood qui me parle. Récemment, j’ai été épaté par les deux derniers films des frères Safdie, qui sont pour moi les deux plus grands réalisateurs américains de la nouvelle génération. Et je suis content d’être là aussi car je connais mal le cinéma américain très indépendant. À part Kelly Reichardt, il n’y a quasiment que des films que je ne connais pas. Il y a aussi le film de Sean Durkin (The nest) que j’ai très envie de voir, qui fait partie des voix originales du jeune cinéma américain. De loin, il me paraît plus aseptisé que dans les années 90, où il y’avait une vague subversive un peu folle. Donc j’espère que je vais retrouver un petit peu l’étincelle de folie du cinéma américain que j’ai pu aimer, quand je l’ai découvert adolescent.

Votre cinéma laisse davantage penser à celui de Kenneth Anger, au cuir (à double consonance) de Scorpio Rising, à l’onirisme d’un Lucifer Rising

Y.G : Kenneth Anger c’est un peu la référence ultime. C’est un grand maître et c’est un des rares cinéastes à être reconnu à ce point en ayant fait que des courts-métrages. Et à montrer que le court est un format qui existe en tant que tel. Un chant d’amour de Jean Genet qui est un court-métrage, c’est pour moi un des plus grands films de tous les temps. Et les films de Kenneth Anger, notamment Invocation of my Demon Brother, ou même son premier film Fireworks, ce sont des films nourris de fantasmes, d’imaginaire, et quand on découvre ça très jeune, forcément ça nous donne des perspectives infinies, de cinéma, de possible et de rêve.

Aujourd’hui, vos films semblent contenir en eux les fragments d’un monde perdu, où l’on peut se toucher, se caresser, ce qu’on ne peut plus forcément faire maintenant. Qu’est-ce qu’ils disent ces corps, ces sexualités, pour vous dans vos films ?

Y.G : Pour moi le sexe, c’est au cœur de la vie même. Il y a tellement d’émotions qui y passent et j’ai l’impression qu’on apprend à connaître quelqu’un par le sexe, que ce soit pour une nuit ou pour quelques mois, parfois quelques années. C’est quelque chose qu’on voit assez peu au cinéma, surtout aujourd’hui où je trouve le cinéma un peu trop inhibé par rapport à celui dont je suis nostalgique, beaucoup plus érotique en fait. Cet érotisme me manque aujourd’hui et de manière modeste, j’essaye de le faire rejaillir à ma manière. 

C’est hyper excitant de voir comment ces gens-là vont évoluer et quelles images ils vont apporter. 

En repensant à Ultra-Rêve, dans lequel on retrouve votre court-métrage Les Îles, ainsi que ceux de Bertrand Mandico, de Caroline Poggi et Jonathan Vinel et vos films sonnent comme des anomalies dans le cinéma français. Vous traitez chacun.e à votre manière des thématiques assez rares aujourd’hui, du genre et des sexualités. 

Y.G : Je parlerais d’une émulation de gens que je côtoie et qui m’inspirent. Une sorte de constellation d’univers qui se rencontrent et fabriquent des images ensemble, par porosité mais aussi par amour des uns des autres. Je pourrais en citer d’autres aussi, je pense à Virgil Vernier, dont on parle moins aussi, à Caroline Deruas, à Julia Kowalski avec son incroyable premier film Crache Coeur, et tant d’autres. 

Vous êtes signataire de la charte 50/50, vos films sont empreints de thématiques LGBTQIA+ et que vous qualifiez vous même de pansexuels et de libres. Depuis quelques années maintenant, on voit émerger ces débats dans le cinéma français. Vers quoi pensez-vous que l’industrie en France est en train d’évoluer ? 

Y.G : Je pense que seul l’avenir nous le dira. J’ai l’impression que ces questions importantes sont en train d’être posées, sur le genre, la violence, l’intolérance. Je pense que ça va donner lieu à de nouvelles voix. Pour l’instant il y a beaucoup de discours, mais ça ne se ressent pas encore totalement dans les films, mais je pense que ça ne va pas tarder à arriver. Je compte toujours sur la nouvelle génération. J’ai siégé pendant un an à la commission de financement de courts-métrages du CNC, et j’ai lu plein de projets de jeunes cinéastes entre vingt et trente ans qui abordent ces questions là de manière hybride, en passant souvent par le cinéma de genre et ça me remplit de joie. C’est hyper excitant de voir comment ces gens-là vont évoluer et quelles images ils vont apporter. 


Propos recueillis et édités par Amandine Dall’omo, lors de la 46e édition du Festival du film américain de Deauville, pour Le Bleu du Miroir 


Crédit photo : Olivier Vigerie – 46ème édition du Festival du Film Américain de Deauville



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