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Uberto Pasolini | Entretien

À quelques jours de la sortie du film Une belle fin, nous avons rencontré le réalisateur italien Uberto Pasolini, producteur de Bel-Ami et The Full Monty… Ce fut l’occasion d’évoquer la génèse du film, de son personnage, de la fin qu’il avait en tête dès le départ et de son point de vue sur internet et les réseaux sociaux… 

E. S. : Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?  

Uberto Pasolini : Le voyage a commencé avec la lecture d’un article qui donnait la parole à une dame qui travaillait pour la mairie de Westminster, dans le centre de Londres. Dans cette interview, elle parlait du triste fait que chaque année ont lieu des milliers de funérailles en Angleterre où personne n’est présent. Cette image mentale d’une tombe abandonnée au moment-même de l’enterrement m’a beaucoup marqué. J’ai décidé de la rencontrer, puis de passer six mois en compagnie de deux officiers funéraires dans le sud-est de Londres. Avec eux, j’ai assisté à des crémations mais aussi à des visites dans les maisons des disparus, me retrouvant à les aider en fouillant dans leurs effets personnels, à la recherche d’indices (lettres, numéros de téléphone…) de relations… Ces moments-là se sont avérés assez forts car l’existence de la personne paraît encore plus forte par son absence. C’est assez étrange mais c’est ainsi que je l’ai ressenti. Je me suis par la suite retrouvé à des funérailles, en étant la seule personne présente. J’ai pu voir certaines personnes faisaient ce travail de façon très humaniste, en s’impliquant personnellement, tandis que d’autres le faisaient d’une manière plus bureaucratique – comme je l’ai montré dans le film – en gérant les dossiers (il insiste sur ce mot) les uns après les autres.

J’ai essayé de faire entrer le film tous les sentiments contradictoires que j’ai pu ressentir : l’émotion véritable mais aussi une sorte de pression à être le seul représentant de l’humanité à être assister à ces tristes enterrements. Je me considère comme quelqu’un de très privilégié, j’ai grandi avec une cuillère d’argent dans la bouche… même trois ou quatre ! (Il rit). Et j’ai encore maintenant une vie très privilégiée, pas seulement pour des questions matérielles, mais aussi parce que j’ai la chance d’avoir trois filles, une ex-femme avec qui je reste proche, des amis autour de moi et un travail qui m’occupe bien. Mon intérêt pour ces personnes-là était presque social. Ma démarche, intellectuelle au départ, est devenue plus émotionnelle ensuite (Il montre son estomac). Je me suis alors interrogé sur notre rapport aux autres, sur les connexions que l’on établit avec ceux qui nous entourent.

La préparation du film s’est transformée en une expérience de vie…

Enfin, j’ai voulu parler de la solitude. Après trente ans de vie commune, j’ai redécouvert ce qu’était la solitude. Même si je vois mes filles régulièrement, certains jours je rentre chez moi dans une maison vide. Je sais que tout cela est très commun mais c’était presque une expérience nouvelle pour moi : rentrer chez soi, dans une maison vide… et ouvrir les rideaux pour faire rentrer la lumière, allumer la télévision ou la radio pour avoir un peu de présence humaine. Cela m’a vraiment frappé.

Finalement, la préparation du film a commencé comme une enquête sociale et s’est transformée en une expérience de vie en quelque sorte. Depuis, j’ai eu envie de faire connaissance avec mes voisins. Je me suis présenté à leur porte un soir, avec une bouteille de vin, pour me présenter. Ils ont sûrement du se demander à qui ils avaient à faire en me voyant comme ça…  

LBDM.fr : Le titre original du film est « Still Life », dont le mot « life » (vie, ndlr) ressort particulièrement. Parler de la mort pour mieux parler de la vie, était-ce là votre démarche avec Une belle fin

Uberto Pasolini : Je vous remercie de l’avoir remarqué. Pour moi, c’est un film sur la vie, pas un film sur la mort. C’est très important. Pourquoi est-ce un film sur la vie ? Car c’est un film sur les relations humaines, celles des gens qui sont en vie. Il n’est pas question de ce qui se passe après la mort mais plutôt de ce qui se passe avant, de comment on gère notre vie et notre lien avec les autres. Pour moi, c’était très important que le titre n’ait pas de lien avec la mort. « Still life » en anglais, c’est l’expression que l’on utilise pour dire « nature morte ». Mais cela veut aussi dire « une vie immobile » mais aussi « toujours en vie » (« Still alive ») et enfin « still » renvoie aux photos, aux souvenirs qu’on immortalise. J’ai insisté auprès des distributeurs pour que cette dimension ressorte dans les titres en Allemagne, en Italie ou en France où ils ont trouvé le titre « Une belle fin ». 

LBDM.fr : Un titre polysémique également…  

Uberto Pasolini : Je l’aime aussi, car on peut le lire de plusieurs façons. Une belle fin, c’est ce qu’il essaie de donner à ses clients. Une belle fin, parce que le film a une belle fin. Et puis le mot « fin » peut être un synonyme de « but » à atteindre. J’aime ce titre également. Les allemands, eux, ont choisi un titre très long : « Monsieur May et le souffle de l’universel » je crois. On change souvent les titres d’une façon très étrange… 

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Puisque l’on parle de fin, évoquons celle de votre film qui est assez surprenante. Une belle fin est un film très réaliste et cette fin se distingue…

(Il interrompt la question)

Uberto Pasolini : J’espère que vous n’allez pas raconter la fin à vos lecteurs ! Mais je vais vous répondre malgré tout… C’est une image que j’avais en tête dès le départ, avant même de commencer mes recherches pour le film.

(SPOILERS : attention, cette réponse révèle des éléments de l’intrigue…)

J’avais cette vision d’un homme, solitaire, dont la vie se termine de la même façon que la vie de ces milliers de gens dont il s’est occupé. Votre question porte sur les dernières vingt secondes du film…  c’est exactement ce que j’avais en tête. C’était une décision émotive, instintive. Pas intellectuelle. Et je l’ai compris plus tard. J’ai compris que j’avais besoin de terminer le film d’une façon à ne pas nous faire oublier la valeur de cet homme, la générosité de celui-ci dans son travail.  Je voulais signifier que toute cette dévotion dont il fait preuve n’était pas vaine. C’était aussi une façon de renvoyer à cette scène où son supérieur lui dit que « les funérailles sont pour les vivants, pas pour les morts » et que lorsqu’il n’y a personne pour y assister, cela n’a aucun intérêt. D’une certaine façon, il a raison. Mais Alors là où il se trompe, c’est que ces funérailles sont aussi pour tout le monde, pour la société. La façon dont on gère les cendres de ces personnes disparues caractérise aussi la manière dont on gère, avec sensibilité ou pas, toutes les situations impliquant les plus défavorisés, les orphelins, les toxicomanes…

Dès lors que l’on traite ces cas-là avec un manque de considération et une vision de rentabilité, on oublie la question de l’humanité. C’est tragique. Pour moi, c’était donc très important de terminer le film de cette façon. La fin du film devait avoir une signification pour moi-même. Et si cette fin parle aussi aux spectateurs, tant mieux.

On me demande pourquoi j’ai réservé un tel sort à mon personnage… Je ne voulais pas que le spectateur ait à se projeter sur la belle vie qu’il pourrait avoir par la suite. Je veux qu’il se dise que la vie qu’il a eu jusqu’à maintenait était une belle vie. Une vie faite de générosité, remplie de la vie des autres. Je ne voulais pas sortir de cette expérience en oubliant la dévotion dont cet homme avait fait preuve. 

(fin du spoiler)

J’espère que si les gens sortent du film avec quelques larmes, ce seront des larmes positives, une belle émotion plutôt que de la tristesse.

Pensez-vous que les réseaux sociaux peuvent contribuer à créer du lien ?  

Uberto Pasolini : Oui et non. J’ai un peu peur qu’internet donne l’impression aux gens d’être mis en lien avec le monde, avec les autres. Je crains que la majorité de ces relations soient faussées. Pourquoi ? Parce que pour moi, le contrôle d’une relation appartient aux deux personnes. Dès lors que vous pouvez interrompre un échange en appuyant simplement sur une touche, alors ce n’est pas une vraie relation. Une vraie amitié se construit ensemble, un compromis entre deux personnes. Bien sûr, internet permet de rencontrer des gens, mais l’important est de donner suite à cette connexion virtuelle à une relation physique.  

J’ai peur que certaines personnes se construisent une identité sur internet, se construisent une personnalité qui n’est pas la leur. Il y a vingt ou trente ans, les gens timides étaient obligés de sortir pour trouver un contact humain. Bien sûr, certains ne sortaient jamais. De nos jours, ils n’ont même plus l’obligation de sortir car ils pensent qu’ils peuvent trouver ce contact par le biais d’une machine.

Bien sûr, internet a d’énormes avantages. On peut faire beaucoup de choses, établir des contacts, créer des situations… Cela facilite la vie. Mais l’autre soucis avec internet est que c’est très chronophage. On rentre le soir, on perd son temps sur Youtube, à s’occuper l’esprit avec des vidéos stupides pour se vider la tête… Ce temps là est gaspillé… On aurait pu l’utiliser pour créer du lien avec son voisin. 

S’il ne fallait retenir qu’un point positif, il faudrait que ce soit le travail d’Eddie Marsan…

E. S. : John May est un prénom très ordinaire, assez commun. Pour l’interpréter, vous avez choisi Eddie Marsan, un comédien hors du commun, au physique singulier. Comment l’avez-vous convaincu de prendre part à ce projet ? 

Uberto Pasolini : J’ai voulu donner à mon personnage un prénom très commun, le plus basique possible. Et comme vous avez pu le voir, j’ai choisi de faire mon film avec un grammaire très simple (le film est réalisé en caméra fixe – ndlr). J’avais besoin de quelqu’un qui soit capable de communiquer énormément sans trop en faire. J’avais travaillé avec Eddie (Marsan – ndlr) il y a quelques années, je savais qu’il pouvait s’impliquer énormément sans parler, sans faire l’acteur qui cherche à trop « jouer le personnage ». J’ai écrit ce personnage avec une photo d’Eddie devant moi. C’est un acteur assez connu en Angleterre, par le théâtre ou quelques seconds rôles marquants au cinéma. Les gens ne retiennent pas forcément son nom, mais il a un talent extraordinaire, une technique impressionnante et c’est un acteur généreux. Il ne les utilise que pour servir son personnage, pour le créer en fonction de ce qu’a écrit le réalisateur. Et s’il ne fallait retenir qu’un point positif de mon film, ce serait le travail d’Eddie Marsan dans la peau de John May. Il est fantastique.  

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LBDM.fr : J’aimerais terminer cet entretien par un trait d’humour en lien avec votre film… Vous qui avez eu une vie remplie, personnellement et professionnellement, qu’aimeriez-vous que l’on dise au moment de votre éloge funéraire ?  

Uberto Pasolini : J’ai une réponse simple à vous donner. Comme le dit le patron de John May dans le film, je ne serai pas là. Mes filles seront là, ma famille aussi. La seule chose que je puisse souhaiter est que ce moment-là soit davantage un moment de joie que de tristesse pour mes filles. J’aimerais qu’elles voient mes amis autour d’elles, qu’elles voient les connexions humaines que leur père a su créer, afin qu’elles puissent gérer ce moment avec un certain bonheur en voyant la vie que j’ai eu. 

> > > Lire aussi : notre critique du film. Une belle fin sortira en salle le 15 Avril.  

Propos recueillis et édités par Thomas Périllon pour Le Bleu du Miroir.
Entretien réalisé à Paris, le 2 Avril 2015, en compagnie d’Emmanuelle Sal.

La fiche

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UNE BELLE FIN
Réalisé par Uberto Pasolini
Avec Eddie Marsan, Joanne Froggatt, Karen Drury…
Grande-Bretagne, Italie – Drame, Comédie
Sortie en salle : 15 Avril 2015
Durée : 87min

Remerciements : Uberto Pasolini, Karine Ménard, Julie Tardit (VO-ST)



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8 années il y a

Belle interview. Que le réalisateur se rassure, son « message » passe formidablement bien.

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